L'horreur que nous inspire la prostitution justifie-t-elle le maintien d'articles de loi menaçant la sécurité des travailleuses du sexe? La question débattue toute la semaine en cour d'appel de l'Ontario n'était pas posée en ces termes, mais le noeud du problème est bien là.

L'horreur que nous inspire la prostitution justifie-t-elle le maintien d'articles de loi menaçant la sécurité des travailleuses du sexe? La question débattue toute la semaine en cour d'appel de l'Ontario n'était pas posée en ces termes, mais le noeud du problème est bien là.

La prostitution, rappelons-le, n'est pas illégale au Canada. Par contre, la plupart des activités qui l'entourent le sont. La juge Susan Himel a donné un coup de pied dans cette fourmilière l'automne dernier, invalidant trois dispositions du Code criminel considérées dangereuses pour les travailleuses du sexe. Tenir une maison de débauche, communiquer en public à des fins de prostitution et vivre des produits de cette activité est devenu théoriquement possible en Ontario - en pratique, l'application du jugement est suspendue jusqu'à nouvel ordre. La cause ayant toutes les chances d'aboutir en Cour suprême, ce n'est pas pour demain.

En attendant, le jugement Himel nous a fourni un portrait exhaustif de la situation. Dire qu'elle n'est pas simple est un euphémisme. Toutefois, quelques évidences s'imposent.

La preuve déposée au tribunal de première instance est claire: les articles visés empêchent bel et bien les prostituées de prendre des précautions légitimes. Ne pas pouvoir travailler d'une maison close ou de leur domicile, confier la surveillance à un tiers ou discuter avec un client avant d'entrer dans son véhicule augmentent considérablement les risques auxquels elles s'exposent.

Et autant se faire à l'idée: aucune forme de répression n'éliminera la prostitution. Même la Suède, armée d'un équivalent législatif de l'agent orange, n'a pas réussi à l'éradiquer.

Mais comme on peut le voir dans les endroits qui ont tenté l'expérience, légaliser les maisons closes ne règle pas tout. Ça ne fait pas disparaître les filles de la rue, et ce sont toujours les plus vulnérables (plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale, de dépendance aux drogues ou de violence) qui y aboutissent.

L'impact sur le trafic d'immigrantes, par contre, n'est pas aussi net qu'on pourrait le croire. La Nouvelle-Zélande n'a pas ce problème et en Allemagne, la décriminalisation n'a pas nui à sa répression. Aux Pays-Bas, en revanche, les deux tiers des travailleuses du sexe proviennent d'Europe de l'Est ou de pays en développement.

Les changements débattus ici n'aideraient pas toutes les prostituées, c'est vrai. Sauf que de nombreux autres rapports gouvernementaux ont fait des recommandations en ce sens depuis 25 ans. Chaque fois, on a choisi la voie de la facilité, c'est-à-dire fermer les yeux et ne rien faire. Après tout, ce sont «seulement des prostituées» qui en subissent les conséquences. Elles sont parfois mortelles, comme on l'a montré l'affaire Pickton. En refusant de considérer les aménagements que ces femmes réclament, on facilite la tâche des clients dangereux. Est-ce vraiment ce que nous voulons?

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