La Ville de Montréal s'est fait taper sur les doigts par la Cour d'appel, jeudi dernier. Cette dernière lui reproche d'avoir violé la liberté d'expression du militant Jaggi Singh en lui remettant, en 2000, une contravention pour avoir apposé une affiche sur le mobilier urbain.      

Au coeur du litige, on retrouve un enjeu d'importance: l'affichage non contrôlé, aussi appelé affichage sauvage.

Depuis que la Cour suprême s'est prononcée sur la question en 1993, il est communément admis que les citoyens ont le droit d'utiliser le mobilier urbain pour s'exprimer, publiciser une vente-débarras et lancer un avis de recherche pour retrouver minou.

Les villes doivent s'y conformer, mais elles doivent aussi, délicat exercice, tracer une ligne afin d'éviter que la liberté d'expression ne devienne pollution visuelle. En un mot, elles doivent encadrer l'affichage sauvage afin qu'il ne le soit pas trop.

La Ville de Montréal s'y est attaquée ces dernières années en installant une quarantaine de babillards publics au centre-ville et dans le Plateau. Elle a ensuite limité l'affichage à ces endroits ainsi qu'aux palissades de chantier. Partout ailleurs, «il est interdit d'inscrire un message, de coller ou d'agrafer une affiche».

Théoriquement, cela se défend très bien. Mais dans les faits, pas du tout.

Pourquoi ? Parce que les babillards sont aussi difficiles à trouver en ville qu'un taxi à l'heure de pointe. Non seulement il n'existe pas d'inventaire de ces «modules d'affichage libre», mais ces derniers sont déplacés au gré de l'humeur des fonctionnaires.

Un babillard est abîmé par une déneigeuse? On lui trouve un endroit un peu moins accessible. Un autre est la cible des graffiteurs? On le transporte deux coins plus loin.

Bien difficile dans ce contexte d'obliger les citoyens à fouiller la ville à la recherche d'un babillard, d'autant que l'on refuse d'en installer dans les rues trop passantes, comme Sainte-Catherine...

Or la liberté d'expression n'en est plus une lorsqu'elle est confinée à de rares endroits difficiles à trouver. D'où l'utilisation, illégale mais néanmoins généralisée, des boîtes postales, lampadaires et planches de bois protégeant les immeubles désaffectés.

Bref, le règlement de la Ville est inapplicable, ce que confirme la Cour d'appel.

Les légistes municipaux n'ont donc plus le choix: ils doivent retourner à leur table de travail. Non pas pour se pourvoir en appel devant la Cour suprême, mais pour élargir ce qui est permis et mieux définir ce qui ne l'est pas, en tout respect de la Charte des droits.

Pour ce faire, les avocats peuvent s'inspirer du jugement de la Cour suprême de 1993, dans lequel on propose de réglementer l'utilisation du mobilier urbain, la taille des affiches, le genre de substance utilisée pour les apposer et la durée pendant laquelle elles peuvent rester accrochées.

Il est plus difficile d'élaborer et d'appliquer un tel règlement qu'un décret mur-à-mur, sans nuances. Mais comme le souligne la Cour d'appel, le respect de cette liberté fondamentale le commande.

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