Pas besoin d'être sondeur pour mesurer l'ampleur de la grogne et de la méfiance que suscitent les entreprises pétrolières et gazières au Québec. Une situation bien connue de ces dernières d'ailleurs, qui tentent de redorer leur blason par tous les moyens.

Et pourtant, c'est dans ce contexte hautement tendu qu'une entreprise bien de chez nous, Pétrolia, a décidé de lancer une attaque virulente contre les citoyens, les écologistes et les médias. Objectif: les réduire tous trois au silence d'un seul assaut, tel un kamikaze.

Voilà en effet à quoi devait servir cette poursuite intentée en janvier dernier contre le militant Ugo Lapointe et le journal Le Soleil (qui appartient au même groupe que La Presse). La Cour supérieure l'a confirmé vendredi, mais la chose était entendue pour ceux qui avaient lu la requête.

Rappelons les faits. Le Soleil a publié en décembre dernier un article sur le régime de redevances québécois. On y expliquait qu'en période d'évaluation, les pétrolières peuvent extraire des ressources du sol sans payer un sou à l'État.

Junex, Pétrolia et Québec défendaient cette façon de faire, alors qu'Ugo Lapointe, cofondateur de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine, la répudiait: «C'est du vol à petite échelle, mais qui ouvre la porte à du vol à plus grande échelle.»

La formule, utilisée au sens figuré, avait beau ressembler aux critiques de nombreux opposants, elle avait beau s'en prendre à un régime vilipendé par le vérificateur général et qualifié de risible par Lucien Bouchard, président de l'Association pétrolière et gazière, Pétrolia ne l'a simplement pas digérée. Une poursuite a été déposée, une somme de 350 000$ a été exigée.

Mais tout, dans cette requête, pointait vers la poursuite-bâillon. D'où la conclusion de la Cour: Pétrolia ne cherche pas de compensation pour diffamation, plutôt à faire taire la coalition, Le Soleil et, par extension, les militants et les journalistes en général. Bref, l'entreprise a utilisé le système judiciaire «de façon abusive», dans le seul et unique but de bâillonner ses opposants...

Ce jugement est très éclairant. D'abord parce qu'il confirme la pertinence de cette loi contre les poursuites malveillantes, qui n'a que deux ans. Ensuite parce qu'il démontre l'étendue du fossé qui existe entre les belles paroles du lobby des hydrocarbures et la réalité sur le terrain.

D'un côté, les regroupements tentent de se faire conciliants, reconnaissent leurs torts, organisent des consultations, ouvrent des sites web comme forumschiste.com, lancé hier. Et de l'autre, leurs membres expriment leur frustration contre ce qu'ils considèrent être des excès civiques - comme ce qu'a fait Pétrolia, ou Questerre, par l'entremise de billets virulents publiés sur le blogue de son président.

Or, cette discordance entre les gestes et les discours est bien plus dommageable pour la réputation des pétrolières que les propos de quelques écologistes au franc-parler.

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