La dérive était inévitable. Et, au moindre incident (or, on peut être sûr qu'il y en aura), elle va encore s'accentuer. «Yankee, Go Home!» entendra-t-on sans doute bientôt. Pour l'instant, on a tout juste commencé à dénoncer l'«invasion» d'Haïti par l'impérialisme américain...

La première salve a été tirée par les Français, après une querelle de pistes à l'aéroport de Port-au-Prince. Celui-ci est contrôlé par les soldats américains qui, premiers arrivés, il y a six jours, ont été capables de rouvrir un aéroport inutilisable. Malgré cela, moins de 100 avions par jour pouvaient y être accueillis, encore hier.

 

Or, un appareil de Médecins sans frontières transportant un hôpital de campagne a dû rebrousser chemin, samedi, sans pouvoir atterrir sur des pistes apparemment trop encombrées. Hier, l'organisme a affirmé que d'autres appareils volant à son service (entre deux et quatre, selon les sources) ont aussi été déroutés.

Certains personnels politiques jugeant l'affaire... politique, justement, tout cela a rebondi jusqu'au Quai d'Orsay et dans la presse française.

L'incident diplomatique a été évité de justesse. Mais les médias français, eux, ont vigoureusement attisé la flamme jamais totalement éteinte de l'antiaméricanisme hexagonal. «Prise de contrôle militaire de Washington», a tranché L'Humanité. «L'Amérique impose son leadership», a ajouté Le Figaro, qui a en outre ouvert ses pages web à des lecteurs furieux. «Premier colonisateur du monde!» a écrit l'un en maudissant Washington. «Invasion dissimulée!» a ajouté l'autre, singeant ainsi Hugo Chavez. Enfin, un nouveau complot circule déjà sur internet: le tremblement de terre serait un «faux», mis en scène par la CIA...

Les seuls qui soient aussi virulents à l'endroit de la présence des États-Unis à Haïti sont certains ténors de l'extrême droite américaine.

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Et que se serait-il dit, au juste, si les États-Unis n'étaient pas intervenus massivement à Haïti? Il se serait dit: bien sûr, il n'y a pas de pétrole!... Appelons cela la malédiction américaine: détestés s'ils interviennent, détestés s'ils n'interviennent pas.

Or, c'est le premier cas qui se présente aujourd'hui.

Car l'ampleur des ressources expédiées par Washington est gigantesque. Hier, le personnel militaire américain devait atteindre 10 000 soldats, comptant sur une quincaillerie qui comprend un porte-avions, un navire-hôpital, une armada d'autres vaisseaux, d'hélicoptères et de véhicules terrestres. Est-ce adéquat? Est-ce suffisant? Les Américains comme les autres y vont un peu à l'aveuglette (y compris à l'aéroport, sans doute) puisqu'il n'existe pas de mode d'emploi infaillible en matière de catastrophes.

Chose sûre, aucune autre nation au monde ne peut - ni ne veut, d'ailleurs - assumer un tel déploiement. Et, en la circonstance, il est répugnant que cela nourrisse les vieux démons de la haine idéologique.