Le péché est devenu un tel casse-tête en Irlande que Dublin vient d'annoncer la tenue à l'automne d'un référendum à son sujet. Quel péché  Le blasphème. C'est-à-dire celui consistant à «publier ou proférer des propos grossiers ou insultants à l'endroit de quoi que ce soit tenu pour sacré par n'importe quelle religion, offensant ainsi intentionnellement un nombre substantiel de ses fidèles» (notre traduction).

Blasphémer en Irlande est un délit punissable d'une amende maximale de 35 000$ CAN. Et certains Irlandais commencent à croire que, au XXIe siècle, tout ça ne tient pas debout -d'où la promesse d'un référendum...

L'affaire serait plutôt divertissante si, en maints endroits, l'idée de réprimer le blasphème n'était en train de gagner du terrain.

La plupart des pays occidentaux ont encore, enfouies quelque part dans leurs lois, des provisions concernant le blasphème. Certes, elles sont presque inutilisées, mais sont susceptibles d'être réactivées. Ainsi en est-il au Canada, où la vaste entreprise de répression du blasphème, mise en faillite par la modernité, est... repartie sous un autre nom devant diverses commissions des droits, fédérale et provinciales. Là où émergent maintenant les plaintes de ceux qui se croient offensés dans leur foi.

Cependant, c'est dans les cénacles onusiens que se joue véritablement la partie.

Demain ou vendredi, à Genève, les pays membres du Conseil des droits de l'homme seront appelés à voter (pour une douzième année consécutive!) sur une résolution concernant la «diffamation des religions». La proposition originelle, introduite par le Pakistan en 1999, concernait uniquement la « diffamation de l'islam »; elle a été modifiée par la suite pour inclure les autres religions, mais demeure défendue surtout par les États islamiques. En 2005, le Yémen a également introduit le thème devant l'Assemblée générale de l'ONU, à New York.

Même si elles ne sont pas contraignantes, ces résolutions votées à répétition installent bel et bien dans le paysage des «droits» nouveaux, pour l'instant plus ou moins inopérants, mais qui ne le seront pas forcément toujours.

Premier droit nouveau: celui pour un individu de ne pas être offensé. Il s'agit d'une véritable chimère juridique qui fait tout de même son chemin dans les officines des diverses bureaucraties droits-de-l'hommistes du monde occidental, y compris au Canada.

Second droit nouveau: celui des dieux et des religions à détenir un statut particulier. Un statut les plaçant au-dessus des basses contingences terrestres, comme la liberté d'expression ou le caractère neutre de l'espace public. En pratique, on statuera peut-être un jour en vertu de ce droit qu'un commis de l'État a le droit d'afficher ostensiblement ses croyances religieuses, mais pas ses convictions politiques, ou sociales, ou philosophiques, ou scientifiques...

Nous saurons alors sans l'ombre d'un doute que nous avons régressé.