La personnalité et le parcours de Xavier Dolan, cet être impudemment jeune et scandaleusement talentueux dont le film a récolté quatre Jutra, dimanche, sont exceptionnels. Pourquoi alors fallait-il qu'il entonne, comme l'aurait fait une vieille douairière snobinarde, l'antique refrain du cinéma «mercantile (...) imposant aux spectateurs et à l'industrie des standards qui sous-estiment notre intelligence et effacent notre identité»...

Pourquoi?

Est-ce devenu une obligation formelle que de débiter ce genre de clichés lorsqu'on a les médias devant soi et une statuette dans les mains?

Pour commencer, c'est faux.

Qui et quoi a gagné, dimanche?

D'abord, J'ai tué ma mère. Dolan aura du mal à nous convaincre que son film n'est qu'une tentative (mercantile) de faire du fric sur le dos du public (sous-estimé) qui est allé le voir! Ensuite, Polytechnique de Denis Villeneuve. Film léger, n'est-ce pas, qui ne propose à ce même public aucune espèce de réflexion, bien sûr... Enfin, Dédé à travers les brumes (et la transcendante performance de Sébastien Ricard). Oeuvre culturellement faible, tout le monde l'a constaté, destinée à effacer notre identité, c'est évident...

Autre chose.

Dolan, Villeneuve et bien d'autres ont eu à se battre pour décrocher du financement, c'est exact. Mais ce serait supposé être comment? Un jeune artiste - ou même un artiste accompli - se proposant d'utiliser le mode d'expression le plus coûteux qui existe, au coeur d'une nation ni très nombreuse ni très riche, ne devrait jamais, en aucune circonstance, rencontrer quelque difficulté que ce soit?

Et au fait, c'était comment avant? Nous voulons dire: avant que Téléfilm Canada en particulier ne tienne compte, dans l'un de ses deux programmes d'aide au cinéma, de la compétence documentée des demandeurs en matière de mise en marché? Car c'est ce qu'on critique. On aura reconnu la bonne vieille scie: l'art et le commerce, ce n'est pas la même chose...

Voyons voir.

D'abord, il ne sera jamais - jamais - possible de parler de cinéma sans parler d'argent: le premier, même «d'auteur», bouffe le second en quantité industrielle. Ceux que ces basses considérations offensent seraient plus à l'aise avec la poésie.

En deuxième lieu, si les bailleurs de fond étatiques n'encouragent que le commerce, eh bien, vaudrait mieux fermer boutique. En 2009, seulement quatre films québécois ont attiré plus de 200 000 spectateurs; en 2008, trois. En 2006, deux...

Troisièmement, et c'est le plus important: il n'y a pas de frontière étanche entre la qualité artistique et le potentiel commercial d'un film. C'est une admission que chacun fait volontiers pour les morts (ah! les chefs-d'oeuvre de Ford et d'Eisenstein, de Truffaut et de Kubrick!), mais que certains refusent de faire pour les vivants.

Encore une fois: pourquoi?