Qui se souvient encore de l'époque où on parlait de «cinéma de cuisine» pour qualifier une partie de la production locale? Il s'agissait de cette sorte de cinéma associé à notre vécu-en-tant-que-peuple, à nos particularismes, à nos tourments intérieurs... et à notre manque de moyens. À notre p'tite vie, en somme!

Qui se souvient encore de l'époque où on parlait de «cinéma de cuisine» pour qualifier une partie de la production locale? Il s'agissait de cette sorte de cinéma associé à notre vécu-en-tant-que-peuple, à nos particularismes, à nos tourments intérieurs... et à notre manque de moyens. À notre p'tite vie, en somme!

Nous avons eu aussi, dès les années 40, nos héros et antihéros pure laine célébrés dans ce qui, à notre échelle, a parfois fait figure de superproductions. L'avare Séraphin Poudrier (1949, 1950, 2002) et la pauvre petite Aurore (1952, 2005). L'oncle Antoine et la jeune Valérie. Maurice Richard et André Mathieu (évoqué dès 1947 dans La Forteresse puis raconté en 2010 dans L'enfant prodige, bien sûr).

Or, en repassant ces images sur notre écran intérieur puis en voyant Incendies, on se rend compte à quel point le cinéma québécois est aujourd'hui capable d'un regard radicalement différent.

Le film de Denis Villeneuve, qui vient d'être mis en nomination pour l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, est un produit du «Québec-monde». C'est-à-dire d'un Québec qui a dépassé son folklore. Qui ne ressent plus la nécessité d'envelopper dans son certificat de naissance originel tout ce qu'il imagine et fabrique. Après Expo 67, qui fut notre premier déniaisage hors du douillet berceau de la race, le monde a continué à venir à nous. Virtuellement, par les médias. En chair et en os, par l'immigration qui a apporté avec elle ses joies, ses peines, ses folklores.

Incendies est un aboutissement de cette évolution, à laquelle ont participé aussi les films «rwandais» de 2006 et 2007, Un dimanche à Kigali et J'ai serré la main du diable.

Cependant, l'intrigue du film de Villeneuve n'est pas située géographiquement, même si on sait bien qu'elle se déroule au Liban. Elle est en fait délocalisée dans l'âme des protagonistes. Le procédé, redoutablement efficace, sert à nous prendre aux tripes et à nous faire avaler des réalités qui nous étaient jadis totalement étrangères, mais qui ne le sont plus.

C'est pour cette raison que, ces jours-ci, notre coeur est capable de vivre dans le quatre-cinq-zéro de Tunis et du Caire.

* * *

Il faut dire un mot de Denis Villeneuve qui, en particulier depuis Polytechnique, apparaît de plus en plus comme un créateur étonnant, exceptionnel.  

En 2009, porter au cinéma la tragédie que l'on sait était suicidaire tant le terrain était miné par la peine, le désarroi, l'idéologie. Or, non seulement il a trouvé le ton et la manière, mais il a fait de Polytechnique un grand film. Et aujourd'hui, Incendies le fait marcher à Los Angeles dans les traces de Denys Arcand, le maître.

Nous sommes très fiers, vraiment très fiers, de Denis Villeneuve et de son film.