Depuis 17 jours, et davantage encore hier, les images de la place Tahrir rappelaient l'ambiance dans laquelle le rideau de fer est tombé pan par pan, il y a 20 ans, cette implosion affranchissant la population de la moitié d'un continent. Le Caire, là où Barack Obama était allé parler d'ouverture et de modernité le 4 juin 2009, serait peut-être le Berlin du monde arabe, se prenait-on à espérer.

Depuis 17 jours, et davantage encore hier, les images de la place Tahrir rappelaient l'ambiance dans laquelle le rideau de fer est tombé pan par pan, il y a 20 ans, cette implosion affranchissant la population de la moitié d'un continent. Le Caire, là où Barack Obama était allé parler d'ouverture et de modernité le 4 juin 2009, serait peut-être le Berlin du monde arabe, se prenait-on à espérer.

Tout était en place. Les militaires avaient tenu le matin même des propos ambigus; Nile TV, la télévision d'État, s'était mise à jeter sur les manifestants un regard sympathique; Washington tapait du pied; la place Tahrir exultait déjà.

Mais rien ne s'est produit.

La brève allocution qu'Hosni Moubarak a livrée peu avant 23h (heure du Caire) restera plutôt dans la mémoire des Égyptiens comme un ratage de première grandeur. Comme un rendez-vous manqué avec l'Histoire, imputable à un homme que le long exercice d'un pouvoir presque absolu a rendu sourd aux appels de la population. Et aveugle à la réalité du monde et du siècle.

En pratique, il s'est contenté de promettre des réformes, surtout constitutionnelles. Et il a transféré «certaines» prérogatives au vice-président Omar Souleimane (on ignorait, hier soir, l'étendue exacte des pouvoirs que celui-ci, peut-être devenu l'«homme» des militaires, sera autorisé à exercer). Sinon, comme lors de sa précédente intervention, le raïs a dit: je reste au pouvoir jusqu'en septembre et je mourrai en Égypte. Tout cela en évoquant à plusieurs reprises la perfidie d'une intervention - une conspiration? - étrangère, sans préciser s'il visait Tel-Aviv, Washington ou Téhéran...

Du vent, bien sûr. Et il est difficile de comprendre ce qu'Hosni Moubarak espère ainsi.

Que le temps usera la ferveur des jeunes réformistes? Peu probable. Que la majorité silencieuse (les 80 millions d'Égyptiens ne défilent pas tous place Tahrir!) finira par se lasser du chaos? Possible. Et à ce moment-là, le président gagnerait son ticket jusqu'en septembre. Et il pourrait, à tout le moins officiellement, demeurer jusque-là celui qui veille au bonheur «de mon peuple, de mes fils et de mes filles», a-t-il dit.

Ce qui n'est pas sans rappeler les ultimes supplications du couple Ceausescu, en décembre 1989, après la chute de leur petit empire roumain.

* * *

L'Égypte, le coeur historique d'une civilisation qui ne connaît pas la démocratie, aura donc été stoppée, hier, dans son élan vers une possible (soulignons: possible) libération.

À défaut, elle est peut-être devenue le plus fragile des petits royaumes d'une région «dont les fondations risquent de s'enliser dans le sable», a prévenu la secrétaire d'État Hillary Clinton, il y a un mois, au moment où les Tunisiens descendaient dans la rue.

Aujourd'hui, on peut tout juste espérer qu'on ne noiera pas dans le sang la place Tahrir.