Les deux premières phrases de l'ouvrage énoncent deux énormités: «La crise écologique domine l'entrée dans le troisième millénaire. Il n'est pas d'autre défi», écrit Hervé Kempf en ouverture de L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie, qui vient de paraître.

Les deux premières phrases de l'ouvrage énoncent deux énormités: «La crise écologique domine l'entrée dans le troisième millénaire. Il n'est pas d'autre défi», écrit Hervé Kempf en ouverture de L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie, qui vient de paraître.

Faux et faux.

En vérité, le troisième millénaire a été inauguré, non par une crise écologique, mais par un massacre inédit, tant par sa forme que par sa portée. Et éradiquer la misère (c'est-à-dire: donner accès à la sécurité, à l'eau, à l'hygiène, à l'alphabétisation, à la production) demeure le défi premier de l'humanité...

Après cette double bourde, il ne paraît pas approprié de prendre Kempf au sérieux. Mais il serait encore plus bête de le prendre à la légère. Le journaliste du quotidien Le Monde est en effet devenu, en moins de deux ans et trois titres, un intellectuel important dans l'univers francophone. Il vend beaucoup de livres, en français et en traduction. Et il a ses entrées dans les médias fréquentés par le milieu de la mode intellectuelle.

Dit autrement: Hervé Kempf est la «saveur du mois» au comptoir des idées.

Kempf est l'héritier d'un courant puissant et enraciné, celui de l'anticapitalisme, aujourd'hui transformé en un «anti-occidentalisme» ratissant plus large et prêchant l'expiation globale. «L'appauvrissement matériel des Occidentaux est le nouvel horizon de la politique mondiale», souhaite ainsi l'auteur.

Viviane Forester (L'Horreur économique et Le Crime occidental, un titre annonciateur) fut au tournant du siècle la précédente «saveur du mois» en pourfendant l'économisme, alors le mot-fétiche. Chez Kempf, c'est l'écologie qui joue ce rôle de mot-pivot et, à son tour, force l'humanité à choisir entre «sortir du système» ou disparaître. Le titre de son ouvrage précédent était d'ailleurs clair: Pour sauver la planète, sortez du capitalisme.

Ce capitalisme s'incarne bien entendu dans le personnage du riche (Kempf a aussi signé en 2009 Comment les riches détruisent la planète) aujourd'hui rebaptisé l'oligarque. C'est lui qui détruit non seulement la planète, mais aussi les démocraties occidentales, en faisant régner... devinez quoi? Le capital, la grosse entreprise et la propagande, bien entendu...

De prime abord, tant de banalité sidère. Mais, en y regardant bien, c'est plutôt le lancinant radotage de la pensée dite critique qui désespère, ressuscitant presque un Jean-Paul Sartre juché sur un tonneau, prêchant la «sortie du système» aux ouvriers de Boulogne-Billancourt!

C'est joli, mais c'est du pur divertissement.

Certes, les sociétés occidentales vont de crise en crise, la plus récente ayant été particulièrement dure et inique. Mais aucune n'est jamais sortie de la démocratie libérale sans retourner à l'état de misère constituant le lot de celles qui n'y sont jamais entrées.