L'image est aussi choquante que celles des massacres eux-mêmes. Il s'agit d'une photo de l'auteur des tueries d'Oslo et de l'île d'Utoeya, assis dans une voiture de police et affichant le sourire de satisfaction du devoir accompli. En toute logique, sa logique à lui, il s'agit d'un sentiment légitime. Car Anders Behring Breivik est un fou, certes, mais pire encore: un fou avec un plan. Un plan simple. Sauver le monde, ou à tout le moins l'Europe...

Or, n'a-t-il pas posé le premier jalon de cette oeuvre salvatrice? ...

C'est insensé, évidemment.

Aussi, il est étonnant qu'on cherche depuis plusieurs jours à cartographier le cheminement politique du tueur norvégien. Il n'y a pas de cheminement. Breivik est un enfant qui ne comprend pas le premier mot des réalités qu'il dénonce. Citant pêle-mêle Mark Steyn (auteur de droite), Naomi Klein (auteure de gauche) et le célèbre Unabomber (l'écoterroriste Ted Kaczynski), il a tout juste bricolé, avant de tuer, un manifeste adolescent et une vidéo à l'imagerie de carton-pâte.

Et c'est cet homme-là qui annoncerait une vague inédite de violence d'extrême droite? Allons donc! Les «vrais» terroristes sont d'une autre trempe.

Ainsi, le terrorisme d'extrême gauche des années 60 et 70 était le fait de réseaux sophistiqués et jouissait d'une (aberrante) légitimité intellectuelle: il s'est établi comme un modèle à suivre pour les générations à venir. Quant à eux, les islamistes ont inventé la terreur mondialisée et, s'appuyant sur le massacre à grande échelle (des dizaines de milliers de victimes, à 85% musulmanes), ils ont changé le cours de l'Histoire.

Comparées à d'aussi formidables entreprises, la terreur de Breivik, et celle de l'extrême droite européenne en général, ne font tout simplement pas le poids.

Elles ne disposent pas de réseaux constitués. En Norvège même, on estime le nombre de militants purs et durs à... quarante! Elles n'ont pas le moindre appui politique, intellectuel, médiatique, même au sein des droites les plus costaudes, dont le Front national en France. Et, à ce jour, les hauts faits des néonazis et autres suprématistes ont eu davantage à voir avec la rixe de ruelle qu'avec l'attentat meurtrier.

Certes, il est difficile d'identifier le fêlé qui, parmi les phalanges de terroristes amateurs sévissant sur l'internet, passera à l'acte comme l'a fait le jeune Norvégien. Mais cela n'empêche pas qu'il s'agit au fond d'une banale affaire de police. Et de psychiatrie.

On va maintenant essayer de faire peur avec cette histoire: qui, en effet, n'aime pas briller sur la place publique en dénonçant courageusement le fascisme? Il faudra alors résister à cette autre facette de la terreur et protéger le droit à la réflexion sur les faits de civilisation, menacé de devenir une autre victime d'Anders Behring Breivik.