Rien ne décrit la société avec autant de vérité que la... publicité, dont la fantasmagorie témoigne de sa quête du bonheur. Et le photoreportage, qui décrit sa réalité crue, incluant ses échecs et ses infortunes. Or, si c'est exact, 2010 aura été pour l'humanité une année de malheur à une nulle autre comparable!

C'est en effet l'impression qui se dégage de l'exposition World Press Photo 2011, dont les oeuvres séjournent au Marché Bonsecours jusqu'au 2 octobre.

La métropole a droit depuis plusieurs années à ce petit bijou d'exposition, monté à partir d'un concours international annuel de photoreportage. Ont été soumises cette année 108 000 clichés provenant de presque chaque pays du monde. Considérées comme un tout, les 54 photographies retenues donnent de façon assez juste l'humeur de la planète pour une année donnée.

Or, on l'a dit, 2010 a été misérable...

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Catastrophes naturelles, mais bien davantage encore, désastres provoqués par les humains, accidents, conflits, cruauté, misère... le compte est bon.

Le photoreportage étant par définition une «capture» de la réalité à des fins surtout médiatiques - autrement dit: porté au spectaculaire -, il a toujours été naturellement sombre. Dans les meilleurs cas, montreur baudelairien de la beauté du mal...

Cette année, même les photos naturalistes ou sportives, d'habitude hop-la-vie, sont plutôt effrayantes. Telle est l'image de ce magnifique oiseau, un fou du Cap, photographié par Thomas P. Peschak et dont les yeux sont presque terrifiants, comme ceux de ses lointains ancêtres, les petits dinosaures théropodes. Ou ce cliché de Gustavo Cuevas montrant un matador méchamment encorné - coeurs sensibles, s'abstenir...

Mais tout ça est anecdotique.

La vraie nature de la 54e édition du World Press Photo s'incarne dans l'image qui a remporté le premier prix du concours. C'est celle de cette jeune Afghane défigurée pour délit à la fois culturel et religieux, une oeuvre de la photographe sud-africaine Jodi Bieber qui, à elle seule, définit toute la misère du monde.

Ensuite, on ira du tremblement de terre haïtien aux inondations pakistanaises en passant par la marée noire du golfe du Mexique, le chemin de croix des réfugiés somaliens, la boucherie des faiseuses d'anges du Kenya et les autres monstruosités que porte la planète...

Pourtant, comment se passer du photoreportage?

Une dernière image fait sentir ce que serait un monde où on ne «capturerait» pas, ou peu, la réalité. C'est celle de Vincent Yu montrant le dictateur nord-coréen Kim Jong-il, ainsi que de son fils et successeur pressenti, Kim Jong-un... deux hommes sinistres, impénétrables, énigmes vivantes enveloppées dans le mystère d'un pays cadenassé et inaccessible.

On se dit alors qu'il vaut mille fois mieux affronter ce que montrent ouvertement de nous les chasseurs d'images. Même si c'est parfois désespérant.