L'organisation d'élections fédérales coûte 300 millions de dollars aux contribuables canadiens. Les quatre scrutins depuis sept ans ont fait grimper la facture à plus de 1 milliard. Est-ce exagéré, ou simplement le prix à payer pour vivre en démocratie?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Mélanie Dugré

Avocate et mère de trois enfants.

DES PROMESSES JAMAIS TENUES

Je crois que la démocratie paie bien cher pour son nom et que la pitance qu'en récoltent les contribuables est fort maigre. Si notre pays était riche et autosuffisant, il serait plutôt amusant de regarder ces politiciens serrer des mains et faire les beaux pendant six semaines. Mais quand je regarde la dette nationale, les besoins criants de nos programmes sociaux et tous ces gens qui crient famine d'un océan à l'autre, je ne peux concevoir que tout cet argent sera dépensé pour nous faire miroiter des promesses qui ne seront jamais tenues. Cette mascarade des prochaines semaines sera une succession d'annonces d'investissements qui n'auront probablement jamais lieu. C'est à croire que pour accéder au pouvoir, tous les mensonges et subterfuges sont permis, les acteurs du monde politique sachant qu'il y aura toujours de fins stratèges pour les aider à trouver d'élégantes excuses pour expliquer ces promesses qui ne seront pas respectées. La parole donnée n'a plus de valeur et les campagnes électorales sont devenues un cirque dont le prix à payer est de plus en plus difficile à justifier. Nous sommes malheureusement condamnés à être déçus, quel que soit le parti qui nous gouvernera.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires.

DES FONDS PUBLICS DILAPIDÉS

Et voilà! Début mai, nous irons encore une fois aux urnes bien malgré nous. Quelque 1,2 milliard de dollars, c'est ce que nous aurons coûté ces quatre élections. Naturellement, Stephen Harper dira qu'il n'a pas provoqué cette campagne électorale. Foutaise! Comment expliquer alors que son gouvernement accorde 3 milliards de dollars en subventions aux banques et aux pétrolières et des peccadilles à la population? Il savait très bien que le NPD, entre autres partis, ne pourrait appuyer un tel budget. Nous irons donc aux urnes afin de satisfaire l'égocentrisme d'un homme pour qui le mot transparence ne fait pas partie de son vocabulaire. Nous voterons, mais pourquoi donc? Allons-nous encore avoir un gouvernement minoritaire conservateur? Probablement. Dilapider ainsi les fonds publics n'est pas la meilleure façon de diminuer notre cynisme face à la classe politique en général. Et vive la démocratie!

Raymond Gravel

Prêtre et ex-député de Repentigny.

LE PRIX DE LA DÉMOCRATIE

Chaque fois qu'une élection est déclenchée, on entend la même ritournelle sur le gaspillage des deniers publics pour un exercice futile dont les résultats semblent prévisibles. Ces propos pessimistes proviennent en grande partie de citoyens désabusés par le système politique et qui tentent de se justifier de ne pas exercer leur droit de vote. Malheureusement, ils sont nombreux ceux-là; par ailleurs, ils seront les premiers à critiquer les politiques mises en place par le gouvernement que d'autres auront élu. Pendant ce temps, des millions d'individus d'autres pays manifestent en ce moment pour avoir ce même droit démocratique que nous, afin d'élire librement des femmes et des hommes qui sauront les représenter et travailler à plus de justice, de dignité et d'égalité pour tous. Quand un gouvernement minoritaire est incapable de négocier des ententes avec les partis de l'opposition et qu'il se rend coupable d'outrage au Parlement parce qu'il ne respecte pas les règles démocratiques qu'on s'est données, ce gouvernement mérite non seulement d'être défait en Chambre, mais aussi d'être renversé au jour du scrutin. Trois cents millions pour une élection? Ce n'est rien comparativement à la décision arbitraire d'Harper de gaspiller des milliards pour la militarisation de ce pays.

Jean-Pierre Aubry

Économiste.

VOIR PLUS LARGE

Pour analyser cette question, il faut prendre un peu de recul. Voici deux aspects à considérer.

Calcul à faire. Dépenser 300 millions de dollars pour obtenir un gouvernement majoritaire qui règnera pendant quatre implique un coût par année de gestion de 75 millions. Dans cette optique, un gouvernement minoritaire qui durer deux ans et demi impliquerait un coût additionnel de 112,5 millions, non de 300 millions. Environ un gouvernement sur trois a été minoritaire et la durée moyenne de ceux-ci a été d'une année et demie, comparativement à quatre années pour les gouvernements majoritaires. Cela implique une moyenne de 3,2 années; on parle donc d'un coût moyen des élections de près de 100 millions par année au pouvoir. De parler d'une perte de 300 millions pour le déclenchement des prochaines élections est donc exagéré. Maximiser le rendement sur l'investissement. La meilleure façon de rentabiliser l'investissement fait dans la campagne électorale est de favoriser un débat public de qualité sur des questions de fond qui vont affecter le bien-être des Canadiens à moyen et long terme. La meilleure façon d'avoir un faible rendement des dépenses liées à la campagne électorale est de se concentrer sur des questions superficielles, de mal informer les électeurs ou de leur faire peur à tort pour gagner leur vote.

Guy Ferland

Enseignant de philosophie au Collège Lionel-Groulx, Sainte-Thérèse.

LE VRAI PROBLÈME

La démocratie n'a pas de prix. Le problème véritable des élections fédérales se situe davantage dans la perte de participation aux débats publics de la part des citoyens, qui ne se sentent plus concernés par la chose politique, que dans son coût. À cet égard, les déficits budgétaires des gouvernements m'inquiètent moins que le manque d'investissement des citoyens dans la société. Le cynisme envers la politique, l'individualisme de bon aloi et le je-m'en-foutisme sont autant de manifestations du repli sur soi de chacun d'entre nous. C'est ce qui menace le plus la démocratie. Alors que dans certains pays, on est prêt à payer le prix de sa vie pour la démocratie, ici on l'abandonne ou on ne s'inquiète que du coût des élections. Si davantage de personnes s'intéressaient à la politique et allaient voter le jour des élections, peut-être qu'il y aurait des messages plus clairs envoyés aux différents gouvernements et moins d'élections à répétition! Retenons la leçon du prix Nobel de la paix, qui est toujours détenu en prison en Chine, Liu Xiaobo: «Les porcs s'endorment quand ils sont rassasiés.» Ne soyons pas des porcs avaricieux et allons voter.

Patrice Garant

Professeur émérite de droit public à l'Université Laval.

DES ÉLECTIONS PRÉMATURÉES

La démocratie est l'une des quatre caractéristiques essentielles du constitutionnalisme canadien. Son maintien par des élections libres ne devrait pas avoir de prix. Ce qui deviendrait excessif, c'est la multiplication non justifiée de cet exercice. Outre les coûts, les élections trop fréquentes risquent de banaliser, voire de délégitimer l'exercice dans l'esprit de la population. Quatre scrutins en sept ans, c'est une situation très préoccupante. À moins qu'un gouvernement soit extrêmement mauvais et que son remplacement devienne une urgence, il est anormal d'avoir des élections générales en dedans de deux ans. À cela s'ajoute la conjoncture partisane actuelle qui fait que les partis de l'opposition n'ont pratiquement guère de chance d'aspirer à former le gouvernement à brève échéance. Je ne crois pas que le déclenchement d'élections hâtives au printemps 2011 se justifie. Le gouvernement actuel, si critiquable soit-il, devrait avoir l'opportunité de terminer son mandat, de faire voter son budget et de faire face au jugement de la Chambre pour le comportement de certains de ses ministres. Les élections en mai 2011 risquent de ne rien régler, voire de prolonger l'insatisfaction actuelle des opposants au gouvernement.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM.

LA DÉMOCRATIE DES COMPTABLES

Trois cents millions. On nous répète ce chiffre en boucle: ce sera le prix des prochaines élections. Apparemment, sa simple évocation devrait nous dissuader de les tenir. Une certaine rhétorique populiste veut voir dans cette dépense une autre preuve du gaspillage des fonds publics. Ce discours correspond davantage à la caricature d'une mentalité de petit boutiquier qu'à celle d'un citoyen comprenant d'instinct la logique des institutions démocratiques. À moins d'avoir une vision strictement comptable de la chose publique, on conviendra de la pauvreté d'une telle réflexion surtout révélatrice d'une culture politique ravagée par ce que le cinéaste Denys Arcand a déjà nommé «le confort et l'indifférence». Qu'on le veuille ou non, la démocratie est nécessairement moins «stable» qu'un régime qui ne repose pas sur le consentement populaire. Il faudrait pourtant s'en réjouir. Cette instabilité relative du pouvoir est ce qui permet aux nombreux éléments qui composent une société de faire valoir leurs préférences, d'influencer le gouvernement, d'orienter les choix collectifs. L'élection est le mode de consultation suprême pour assurer l'expression des préférences populaires et permettre la formation d'un gouvernement redevable envers le peuple. La démocratie a un coût? Manifestement. Mais si elle a un coût, elle n'a évidemment pas de prix.