Quelle formule de débat des chefs devrait-on privilégier à la télé? Un duel entre Stephen Harper et Michael Ignatieff? Ou bien la confrontation classique impliquant tous les chefs? La chef du Parti vert, Elizabeth May, devrait-elle en faire partie?

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Guy Ferland

Enseignant de philosophie au collège Lionel-Groulx à Sainte-Thérèse

LA SOCIÉTÉ DU SPECTACLE

Pour le respect de la démocratie, tous les chefs des principaux partis politiques sur la scène fédérale devraient participer au débat télévisuel. La question d'une confrontation se limitant à mettre en duel les chefs du Parti conservateur et du Parti libéral ne devrait même pas se poser. Ce face-à-face entre Harper et Ignatieff relève tout simplement de la stratégie de campagne électorale. Le chef conservateur défie le chef libéral d'en découdre avec lui parce qu'il pense avoir facilement le dessus sur son principal adversaire. Quant à savoir si Elizabeth May devrait participer au débat, cela dépend de notre conception de la démocratie. Puisque le Parti vert a été reconnu officiellement par Élections Canada lors des dernières élections et que près d'un million d'électeurs ont voté pour ce parti, il n'y a pas de raison que le consortium radio-télévision l'écarte des discussions. À moins que le débat ne soit qu'une émission télévisuelle qui tienne peu compte de la démocratie lors des élections. Ce qui serait aberrant. Guy Debord aurait alors eu raison d'affirmer que nous faisons désormais partie d'une société du spectacle.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

UN FACE-À-FACE SANS LE FILTRE DES MÉDIAS

On en sait trop peu sur les éléments contenus dans les plateformes de campagne des partis. Les publicités, souvent négatives, ne suffisent pas pour se forger une opinion. Les médias offrent beaucoup d'analyses stratégiques, tactiques ou éditoriales, mais peu d'occasions d'approfondir les programmes. Malgré les moyens de communication modernes et le niveau élevé d'éducation au Canada, peu de gens consultent les programmes dans leur intégralité. Les débats télévisés, lorsqu'ils ne sont pas trop rigides, représentent donc le moment fort d'une campagne électorale. Le ton, les attitudes, les mots et les exemples choisis, l'attaque et la riposte prennent une tournure plus dramatique à la télévision et peuvent marquer l'imagination et influencer le vote. Les initiés diront que le «spin» post-débat des faiseurs d'image a encore plus d'impact. Je suis pour l'inclusion de tous les chefs dans les débats. Malheureusement, au fédéral, la faible maîtrise du français de plusieurs d'entre eux rend l'écoute laborieuse. Toutefois, dans cette campagne, je crois qu'un face-à-face supplémentaire Harper/Ignatieff, en français et en anglais, nous en apprendrait plus sur l'un et sur l'autre. M. Ignatieff a tout à gagner d'un tel exercice.

Jean-Claude Hébert

Avocat

ELIZABETH MAY N'A PAS SA PLACE

Une formule équitable du débat des chefs doit, autant que faire se peut, refléter la présence parlementaire. Or, à cet égard, les Verts sont absents. Par conséquent, le débat devrait réunir uniquement les chefs des partis politiques représentés à la Chambre des communes. De plus, l'incapacité de Mme May de faire valoir son point de vue en français fausse totalement la dynamique d'un réel débat. Tolérer la présence d'une «plante verte» dans le débat en français, afin de lui permettre de participer au débat en langue anglaise, serait un geste de mépris à l'égard de l'électorat francophone. Pour les Verts, il n'y a qu'une solution pour Mme May: apprendre l'autre langue officielle du pays et faire élire des députés. Ensuite, elle pourra revendiquer une participation significative aux deux débats des chefs.

Louis Bernard

Avocat, consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec

UN DÉBAT CONFORME À NOTRE SYSTÈME ÉLECTORAL

Dans notre système électoral, il n'y a pas de deuxième tour où s'affronteraient les deux meilleurs. Il ne saurait donc être question d'un débat réservé à Harper et Ignatieff, car qui sait d'avance quels seront les deux meilleurs le soir du 2 mai? Le débat doit donc se faire entre tous les chefs de partis. Doit-on inclure Elizabeth May, la chef du Parti vert? Oui, si on tient compte du fait que ce parti présentera des candidats à l'échelle du pays. Non, si on s'en tient au fait que ce parti n'est pas représenté aux Communes. L'addition d'un joueur alourdira le débat, mais peut ajouter des éléments de discussion qui, autrement, seraient laissés de côté. C'est une question de choix. Personnellement, dans ce cas-ci, je pencherais plutôt pour l'inclusion.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec

UN DUEL SUR LES GRANDS ENJEUX

On sait que les citoyens sont généralement victimes d'ignorance rationnelle; qu'ils consacrent peu de temps et dépensent peu d'énergie à éclairer leur décision de voter pour un parti plutôt qu'un autre. Puisqu'ils savent que leur vote a peu de chance d'influencer le résultat électoral, ils ont tendance à minimiser leur investissement en recherche d'information politique. Pour s'informer, ils s'en remettent la plupart du temps aux médias. Aussi, le débat des chefs peut apporter une contribution significative à la démocratie s'il permet aux électeurs d'en connaître davantage sur les partis politiques et leurs programmes. Si un débat classique réunissant tous les chefs peut sembler de prime abord plus démocratique que le duel, l'expérience nous a montré que cette formule incite les protagonistes à s'en tenir à des clichés et à des généralités. Dans cette perspective, un duel Harper-Ignatieff forcerait les seuls aspirants au pouvoir à étayer leurs positions sur les grands enjeux auxquels font face les Canadiens. Évidemment, quelle que soit la formule, tout ça n'est aussi que mascarade. Comme le disait Coluche: «Il y a des politiciens qui, pour briller en société, mangeraient du cirage.»

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

NE PAS NIER LA RÉALITÉ

Qu'on le veuille ou non, la carte électorale canadienne ne correspond plus à une lutte sans merci entre les conservateurs et les libéraux. La simplification du débat électoral avec un éventuel débat à deux entre Harper et Ignatieff serait outrancière. Le multipartisme actuel n'est pas le fruit d'un dérèglement des institutions, mais de divisions politiques réelles entre blocs régionaux et courants idéologiques qu'il n'appartient pas aux médias de gommer en restaurant un bipartisme de façade. Poussons la réflexion vers l'absurde: suivant cette logique, dans le débat français à deux, qui faudrait-il inviter? À moins de jouer le mythe trudeauiste jusqu'au bout, on reconnaîtra que le fait français est d'abord une affaire québécoise. Faudrait-il alors organiser le débat entre le Bloc québécois et le Parti conservateur, ces deux partis étant les seuls à se partager le vote francophone et à pouvoir théoriquement y prédominer, alors que le PLC n'y grignote que des miettes et n'est pas à la veille de sortir de son réduit montréalais? Faudrait-il même y inviter le NPD, qui est lui aussi condamné à une existence électorale marginale? Tout cela n'a aucun sens. Ces élections mettent en scène quatre partis représentés aux Communes. Qu'on les invite au débat.

Vivian Barbot

Candidate du Bloc québécois dans Papineau

GILLES DUCEPPE DOIT Y PARTICIPER

Stephen Harper n'en finit plus de s'attaquer à la démocratie: cette fois, il a lancé l'idée de faire des débats des chefs un duel entre lui et le chef libéral plutôt qu'un débat ouvert et démocratique. Réduire ses adversaires au silence, c'est typique du chef conservateur. Un duel entre Ignatieff et Harper qui exclurait le Bloc québécois est totalement inacceptable. Élection après élection, le Bloc québécois fait élire une majorité de députés. Il est donc hors de question qu'une majorité de Québécois ne soient pas représentés lors des débats. Si une telle absurdité se concrétise, cela signifiera que les deux chefs auront complètement tourné le dos au Québec. Or, le Québec a le droit incontestable de faire entendre sa voix. Le Québec a besoin que Gilles Duceppe y soit pour représenter les valeurs et les intérêts des Québécois. Par ailleurs, le Bloc québécois ne voit aucun problème à ce que la chef du Parti vert participe aux débats. Toutefois, la décision finale revient au consortium des radiodiffuseurs.

Thomas Mulcair

Candidat du NPD dans Outremont

ONT-ILS PEUR DE JACK LAYTON?

Le NPD est clairement en faveur d'un débat impliquant tous les chefs fédéraux. Le simple fait que libéraux et conservateurs aient osé proposer de limiter le débat à une joute oratoire entre Stephen Harper et Michael Ignatieff en dit long sur leur conception de la démocratie. On peut d'ailleurs se demander sur quels enjeux MM. Harper et Ignatieff pourraient bien débattre. En plus d'avoir appuyé Stephen Harper dans plus de 100 votes de confiance au Parlement, Ignatieff partage la vision de Harper sur les dossiers comme les sables bitumineux, le financement de la culture ou la guerre en Afghanistan. La proposition d'un débat à deux serait-elle motivée par la crainte d'affronter Jack Layton en débat? En effet, Layton est un chef très populaire, charismatique, un excellent orateur et, selon les Québécois, serait le meilleur candidat pour le poste de premier ministre. On ne peut pas en dire autant des deux autres chefs. Pour ce qui est de la présence d'Elizabeth May, le NPD a publiquement affirmé n'avoir aucune objection à la présence de Mme May aux débats. Le NPD suggère aussi que le consortium des télédiffuseurs clarifie ses critères d'invitation aux débats afin d'éviter ce type de situation à l'avenir.