Est-ce équitable pour les Québécois que la SAQ vende ses vins moins chers aux États-Unis qu'au Québec?

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Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

AUTRE MARCHÉ, AUTRES RÈGLES

Que la SAQ vende des vins moins chers aux États-Unis qu'elle le fait au Québec est tout à fait normal. Il s'agit de deux marchés complètement différents et toute comparaison de prix est fausse au départ. D'une part, au Québec, les profits engendrés par la SAQ ne sont rien de moins que des taxes indirectes. Ces profits s'en vont directement dans les coffres de la province et augmentent ainsi les revenus consolidés du Québec, lesquels sont réinvestis, notamment en santé et en éducation. D'autre part, aux États-Unis, la SAQ doit se contenter d'un profit normal, car elle ne peut tout simplement pas taxer les Américains et rapatrier lesdites taxes au Québec. D'ailleurs, fondamentalement, la SAQ aux États-Unis agit beaucoup plus comme un distributeur sans avoir les dépenses associées à l'opération de succursales alors qu'au Québec, elle agit avant tout comme un détaillant dans une situation de monopole. Si la SAQ vendait aux États-Unis ses produits aux mêmes prix qu'elle le fait au Québec, elle ne pourrait faire compétition avec les autres grossistes. Autre marché, autres règles du jeu.

Robert Gagné

Directeur du Centre sur la productivité et la prospérité et professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée de HEC Montréal

LES QUÉBÉCOIS SUBVENTIONNENT LES AMÉRICAINS

Le fait que la SAQ doit vendre moins cher aux États-Unis qu'au Québec n'est pas étonnant. Le commerce de l'alcool aux États-Unis est concurrentiel, alors qu'il est contrôlé par un monopole au Québec. En fait, la SAQ ne pourrait pas vendre aux États-Unis si elle appliquait les prix en vigueur au Québec. Cela nous rappelle de manière convaincante qu'un monopole vend toujours plus cher pour une qualité moindre. Dans le cas de la SAQ, la rente qui découle de sa position de monopole au Québec profite, pour une partie, à l'État québécois par le biais de dividendes plus élevés et, pour l'autre, aux employés de la SAQ sous forme de conditions de travail clairement hors norme dans l'industrie de la vente au détail. Aussi, la question qu'il faut se poser est la suivante: comment un monopole par définition inefficace peut-il vendre dans un marché concurrentiel? La réponse est simple: en subventionnant ses activités dans le marché concurrentiel (les États-Unis) à l'aide de ses activités dans le lucratif marché non concurrentiel (le Québec). Autrement dit, les Québécois subventionnent les clients américains de la SAQ. Est-ce équitable? Poser la question, c'est y répondre.

Paul Daniel Muller

Économiste

DU CORPORATISME PUR JUS

En principe, c'est équitable. La cherté des vins et spiritueux au Québec découle en partie de la majoration imposée par la SAQ sur leur coût. Cette majoration vise à payer un dividende important au gouvernement, lequel s'en sert pour financer nos services publics. Les taxes sur la consommation, comme cette majoration, sont préférables à l'impôt sur le revenu et aux taxes sur la masse salariale qui découragent le travail et nuisent à l'emploi. Bref, le choix de taxer l'alcool, même s'il devient plus cher qu'ailleurs, me paraît raisonnable. En pratique, par contre, ce discours social a été frelaté. Car la cherté de l'alcool au Québec, par rapport à d'autres juridictions, découle aussi des dépenses excessives de la SAQ. Un caissier-vendeur en succursale (excluant les conseillers) gagne entre 28% et 49% de l'heure de plus (selon son échelon) que le salarié moyen dans les magasins d'alimentation au Québec en 2009. En Europe, on peut acheter les vins et spiritueux dans les épiceries. Chez nous, la SAQ conserve un monopole sur la vente au détail (sauf pour le vin bas de gamme). Ce monopole ne profite ni aux consommateurs, ni aux contribuables: c'est du corporatisme pur jus.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital inc., société d'investissement privée

CONFRONTER LE MONOPOLE À LA CONCURRENCE

La SAQ agit comme tout monopole. Étant inefficace et bureaucratique, elle ne pourrait normalement jamais concurrencer sur le marché libre américain. Alors, elle utilise les profits de son monopole québécois pour subventionner ses activités non monopolistiques en coupant les prix des produits qu'elle vend aux États-Unis. Les compagnies de téléphone nord-américaines l'ont fait longtemps en finançant l'interurbain soumis à la concurrence avec leur monopole filaire. On peut tenter de régler le problème si un régulateur contrôle le prix (comme le fait le CRTC pour le prix du service téléphonique filaire) et empêche cette subvention croisée. Autrement, la solution est de confronter le monopole à la concurrence dans son marché monopolistique: cela cessera immédiatement ce genre de subventions croisées.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

DES PROFITS COLLECTIFS

La SAQ est un monopole provincial. On a fait ce choix que le vin soit un produit de luxe. Il est taxé à la consommation dans le but de financer nos programmes sociaux et nos infrastructures sous la logique du «consommateur-payeur d'impôts volontaires» (tout comme les cigarettes). Notons que le prix du vin est le même partout au Québec, peu importe la rentabilité du marché desservi. La SAQ est parmi les plus importants acheteurs de vin au monde. L'achat du distributeur américain JJ Buckley lui permet d'augmenter son pouvoir d'achat et d'obtenir, à moyen terme, une meilleure marge brute pour un prix de vente équivalent. Il est vrai qu'avec une vision simpliste, nous payons notre vin plus cher qu'au pays de la Budweiser, mais les prix aux États-Unis sont fondés sur une stratégie de mix marketing différente du Québec (prix, publicité, réseau de distribution, variété et qualité des produits). Il faut comprendre que cette marge de profit nous revient dans notre portefeuille collectif. Comme le vin n'est pas un produit de première nécessité, le maintien de prix élevés n'appauvrit pas automatiquement les familles à faibles revenus, comme le fait directement ou indirectement la hausse du prix de l'essence, par exemple. Si nous voulons que la SAQ vende le vin à plus faible prix, il faudra couper dans notre dividende provincial prévu de près de 867 millions de dollars pour 2010-2011. La société d'État génère aussi des salaires appréciables pour ses employés payant des impôts et des taxes à la consommation. Comparer le prix d'un produit entre deux pays est une analyse bâclée. Arrêtons de comparer des pommes avec des bananes: soyons fiers de notre SAQ.

Pierre Simard

L'auteur est professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec.

UNE SOURCE D'APPAUVRISSEMENT

Pourquoi la SAQ vend-elle ses vins moins chers aux États-Unis? Parce que si elle affichait les prix québécois sur les tablettes américaines, elle n'en vendrait tout simplement pas. Aux États-Unis, le marché du vin est concurrentiel, alors qu'ici, notre bon gouvernement préfère saigner les consommateurs en protégeant le monopole de la SAQ et en interdisant toute concurrence. Qui sont les gagnants? Nos politiciens, qui peuvent distribuer à leur guise les 867 millions de dollars de profit générés en 2010 par ce monopole d'État. Et c'est sans compter la rente dilapidée en cours de route en généreux bonis aux gestionnaires et en salaires démesurés aux syndiqués. Le monopole de la SAQ est, semble-t-il, un choix de société. Son mandat serait de contribuer à la richesse collective du Québec. En réalité, il contribue davantage à son appauvrissement. L'heureuse nouvelle, c'est que le Québécois saura dorénavant combien lui coûtent les réglementations abusives de nos gouvernements. Quand je pense qu'en plus, on ne m'offre même pas de sac pour transporter mes bouteilles... À sac la SAQ!

Sylvain Charlebois

L'auteur est vice-doyen à la recherche et aux études supérieures de l'Université de Guelph, en Ontario.

LA SAQ N'A PAS LE CHOIX

Si les Québécois acceptent les dividendes versés par la société d'État, qu'est la SAQ, ils doivent ainsi accepter les aléas que procure un monopole étatique. En principe, si la SAQ réussit à percer aux États-Unis, la collectivité québécoise en bénéficiera, bien certainement. L'an dernier seulement, la SAQ a versé 867 millions en dividendes à l'État. Ce n'est pas rien. Afin d'augmenter ses recettes, la SAQ n'a pas le choix que de développer de nouveaux marchés à l'extérieur du Canada. Pour ce faire, la SAQ tente de développer ce nouveau marché par le biais d'une stratégie de prix par pénétration. Mais cette approche sera vraisemblablement provisoire. Sans doute, les prix augmenteront avec le temps. De surcroît, le différentiel des prix offerts au Québec versus les prix américains diminuera.

Jean-Pierre Aubry

Économiste

SON MONOPOLE SERA-T-IL ATTAQUÉ?

Est-ce équitable? Non, si nous considérons seulement l'achat d'une bouteille de vin. C'est même frustrant. Il faudrait peut-être se poser la question suivante: est-ce profitable pour les Québécois? Cela devrait être le cas si la SAQ a bien fait ses calculs et si cette activité additionnelle génère un revenu additionnel pour la SAQ, et donc pour le gouvernement. Le gouvernement pourrait décider de partager une partie de ce gain avec les clients québécois de la SAQ en réduisant légèrement les prix dans les points de vente au Québec. Mais c'est un choix qu'il a parce qu'il a un monopole au Québec. Est-ce que SAQ pense à envahir d'autres marchés? «The sky is the limit.» Un autre aspect intéressant dans ce dossier est le manque de réciprocité. La SAQ veut vendre sur le marché américain via JJ Buckley, mais refuse probablement que les entreprises américaines concurrentes viennent faire des ventes au Québec. Ce n'est donc pas bon et pas équitable pour ces entreprises. Vont-elles prendre des mesures juridiques et commerciales pour que cela cesse? Est-ce que cette stratégie de la SAQ ne risque pas de se retourner contre elle? Le désir d'envahir d'autres marchés pourrait-il impliquer une attaque contre son monopole au Québec?