Selon les sondages, le NPD pourrait former l'opposition officielle à l'issue du scrutin de lundi prochain. Que pensez-vous de cette éventualité, encore inconcevable il y a quelques jours? Quel impact aurait ce changement sur le Parti libéral, qui serait ainsi relégué au troisième rang?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

UNE OPPOSITION INTERCHANGEABLE

Si le Bloc québécois a déjà réussi l'exploit de former l'opposition officielle à Ottawa, pourquoi pas le NPD? Pour le PLC, cela représentera une sanction claire contre l'incapacité de la formation d'Ignatieff de se renouveler. Il n'a pourtant pas manqué de temps pour le faire. Le programme du PLC est une alternative crédible à celui des conservateurs, mais le service des ventes n'a pas été à la hauteur. Il est toutefois certain qu'un appui suffisamment important au NPD pour qu'il forme l'opposition officielle ne signifiera aucunement une adhésion massive à son programme et c'est pourquoi il sera encore dans l'opposition. Il semble que les Canadiens croient maintenant qu'entre le NPD et le PLC, l'opposition soit interchangeable. Une fusion ou une alliance NPD-PLC? Pas impossible! Une telle fusion/alliance serait même davantage envisageable dans le cas d'un gouvernement conservateur majoritaire. Toutefois, même s'il parvenait péniblement à préserver son statut d'opposition officielle devant un gouvernement Harper, majoritaire ou minoritaire, la position d'Ignatieff sera intenable. Le PLC remerciera gentiment Michael Ignatieff pour ses loyaux services, fera comprendre à Bob Rae qu'il n'est pas l'homme de la situation et cherchera du sang neuf et des idées vraiment nouvelles.

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec

L'ILLUSION DU CHANGEMENT

D'un point de vue québécois, la scène politique dans son ensemble apparait complètement bloquée. Et cela, depuis de nombreuses années. Il en résulte un climat de morosité et d'impatience. On voudrait, on veut du changement. Mais on se refuse à prendre les décisions qui changeraient vraiment les choses. À défaut de réalité, on en est donc réduit à rechercher l'illusion du changement et à chercher des faiseurs de miracles. On l'a vu, il y a quelques années, dans l'engouement subit envers Mario Dumont et l'ADQ, et on risque de le voir maintenant dans la vague qui se développe à l'égard de Jack Layton et du NPD. Et probablement avec les mêmes résultats: la déception devant le manque de préparation des nouveaux élus et le peu de changements réels qui en résulte. De sorte qu'on en sera réduit à revenir au statu quo ante sans que les choses n'aient ni avancé ni changé. Le Bloc québécois est, en somme, victime de l'indécision des Québécois: alors qu'il pourrait contribuer puissamment à l'avènement d'un changement fondamental qui débloquerait vraiment les choses en libérant le Québec de son carcan constitutionnel, il en est réduit à faire du surplace en attendant que les Québécois choisissent la réalité plutôt que l'illusion du changement. Malheureusement, l'illusion mène à des culs-de-sac sans jamais changer vraiment les choses.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

QUELLES GAUCHES?

Si on discute depuis longtemps d'une éventuelle union de la gauche, personne ne doutait que le NPD y jouerait un rôle d'appoint, à la manière d'un supplément d'âme nécessaire au PLC, seul capable d'incarner l'alternance progressiste à la grandeur du Canada. La composition du prochain parlement risque d'inverser les rôles et de compliquer l'équation politique canadienne. Car si le NPD et le PLC se réclament communément d'une philosophie progressiste, ils incarnent deux gauches distinctes. D'abord sur le plan des idées. Le NPD représente une alliance entre la vieille gauche syndicale et les mouvances de la gauche radicale, antiaméricaine, isolationniste, anticapitaliste, altermondialiste, ultraféministe. Le PLC représente plutôt une gauche BCBG, bourgeoise, d'abord attachée à la Charte des droits et préoccupée par la promotion d'un multiculturalisme dont il est le gardien. Et en politique étrangère, le PLC est moins isolationniste qu'onusien et favorable à l'interventionnisme humanitaire droit-de-l'hommiste. Ensuite, sur le plan de la culture politique, le NPD a une culture d'opposition alors que le PLC a l'habitude de l'exercice du pouvoir et dispose d'un vaste réservoir d'expérience politique en la matière, en plus de souvent considérer l'État fédéral comme sa propriété. On voit mal comment le deuxième accepterait de se soumettre au premier.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique, à Québec

UNE GRANDE RÉFLEXION LIBÉRALE

Si les intentions de vote se confirment lundi, il est fort probable que le NPD délogera les libéraux comme opposition officielle aux Communes. Ce sera alors la fin pour Michael Ignatieff et l'amorce d'une grande réflexion pour le PLC. Cette réflexion pourrait s'accélérer si la somme des sièges obtenus par le NPD et les libéraux permet la constitution d'une majorité en Chambre, et ce, sans l'appui du Bloc. On pourrait alors assister à un rapide ralliement des forces «progressistes» et à une fusion éventuelle de ces deux partis. Par contre, si la formation d'un gouvernement de coalition est techniquement envisageable, elle demeure peu vraisemblable. On semble plutôt se diriger vers un quatrième gouvernement minoritaire en sept ans. Sera-t-il plus stable que les précédents? Peut-être! Le PLC et le Bloc ont un long travail d'autocritique à faire avant de se présenter à nouveau devant l'électorat. D'autant plus que la population canadienne commence à en avoir assez de ces confrontations électorales mettant de l'avant des aspirants au pouvoir opportunistes et sans idées neuves. La mode NPD n'est pas qu'idéologique, elle est aussi un profond désaveu à l'endroit de ces bureaucrates de la politique dont la seule carte cachée aura été d'appeler à leurs secours des vestiges de l'autre siècle.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

FIN D'UNE MARQUE DE COMMERCE

Le NPD dans l'opposition nous permet de faire une analogie avec la situation de l'ADQ de 2008. Le ras-le-bol populaire crée une vague de fond faisant en sorte que des «poteaux» seront possiblement élus sous la bannière du NPD. Quelques individus seulement auront réussi à détruire la réputation du PLC lors du scandale des commandites. La marque de commerce du PLC n'a plus le respect de la population, car en politique, la réputation est l'actif le plus important. Toutefois, en comparant les qualifications des candidats du NPD et du PLC, il va sans dire que sur une base logique, les candidats du PLC sont davantage ministrables que ceux du parti orange. Le Parti libéral en troisième place marquera sûrement le départ de Michael Ignatieff. Les politiciens méritent notre admiration pour ce qu'ils font, mais le chef du Parti libéral n'a pas la cote. Le parti écarlate a besoin d'un remède de cheval: un changement drastique. Avec le NPD plus populaire que le PLC, peut-être que la fusion des deux partis ne sera plus rejetée du revers de la main par les stratèges respectifs de ces derniers. Lorsque le Parti conservateur n'avait que deux sièges, il est passé par une période de reconstruction menant ultimement à la fusion avec l'Alliance canadienne. Pourquoi cette recette serait à rejeter pour les libéraux? Denis Coderre se laissera-t-il tenter par la mairie de Montréal? Est-ce que Gilles Duceppe quittera le navire qui se voulait à l'origine temporaire? Le 2 mai 2011, la soirée électorale sera la plus intéressante depuis le 25 octobre 1993.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital inc., société d'investissement privée

RIEN DE TROP BEAU POUR LE NPD

Est-ce un vote de protestation? Les Québécois avaient «parké» leur vote au Bloc québécois en attendant une rédemption des libéraux qui n'est jamais arrivée. Ils sont tannés du fiel et de la hargne du Bloc. M. Layton arrive avec un vent de fraîcheur et promet du changement. Si le NPD réussit à faire sortir le vote, nous pourrions avoir un gouvernement conservateur minoritaire. Il faut lire le programme du NPD pour se marrer un peu. Avec ses 19 photos de Jack Layton, il contient 205 promesses, 205 «premiers pas» pour aider la famille (combien de deuxième et troisième pas?), dont 66 seraient financées par une hausse des impôts des sociétés (qui, selon eux, n'aura aucun impact sur la croissance économique, une théorie depuis longtemps discréditée sauf par la go-gauche pure et dure!). On encouragera les Canadiens à s'endetter en limitant les frais de cartes de crédit. On formera les anciens combattants pour travailler dans la construction et les chantiers navals (pourquoi ces deux industries? Et pourquoi les chantiers navals, une industrie qui se meurt au Canada?). On éliminera la pauvreté et on doublera les pensions de vieillesse. Il n'y a rien de trop beau! Si M. Layton réussit avec succès un premier mandat dans l'opposition, notre système électoral britannique risque bien de confiner le Parti libéral aux oubliettes. Et dire qu'il se qualifiait d'être le «natural governing party of Canada» il n'y a pas de cela si longtemps!

Mélanie Dugré

Avocate

ENTRE CRAINTE ET EXCITATION

D'emblée, le phénomène NPD ressemble à certains égards à la popularité qu'a connue l'Action démocratique au niveau provincial il y a quelques années. Ce parti, guidé par un chef intelligent, charismatique et rassembleur, avait causé la surprise générale aux élections. Malheureusement, la bouchée était trop grosse pour ce jeune parti et l'ADQ a finalement causé bien des déceptions. L'attitude et les propos de certains candidats néo-démocrates m'amènent à soupçonner que le NPD n'est peut-être pas prêt pour la tâche titanesque qui l'attend, advenant qu'il forme l'opposition officielle. Depuis le départ de Jean Chrétien, le Parti libéral fédéral se cherche une identité et un chef qui fera preuve du leadership inhérent à la fonction. Le succès anticipé du NPD est peut-être la claque au visage dont ce vieux parti a besoin pour se lever des lauriers sur lesquels il est assis, amorcer un exercice d'introspection et éventuellement se renouveler. En dépit des craintes que soulève la perspective d'une opposition officielle mal préparée pour son rôle, l'idée que le NPD puisse brasser la cage de la politique fédérale est particulièrement excitante. En ce printemps tardif, ce vent de renouveau qui semble vouloir souffler sur Ottawa amène avec lui fraîcheur et espoir.

Marc Simard

Professeur d'histoire au collège François-Xavier-Garneau, à Québec

LA RAISON FOUT-ELLE LE CAMP?

Si la possibilité que le NPD forme l'opposition officielle est bien réelle, il n'en reste pas moins qu'elle a un côté aberrant. En effet, que la population canadienne se soit prise d'un tel engouement pour un éternel tiers parti dont le programme est fantaisiste et dont plusieurs candidats sont de simples «poteaux» dépasse l'entendement. Pire, que M. Layton puisse devenir premier ministre d'un gouvernement de coalition dans le cas où les conservateurs, minoritaires, seraient renversés en Chambre dans les mois suivant les élections, confine au cauchemar. Où trouverait-t-il alors les compétences et les milliards pour remplir ses délirantes promesses? Et dans quel état les finances publiques du Canada se trouveraient-elles à la fin de son mandat? Il faut espérer que l'emballement pour Jack que révèlent les sondages ne soit pas un envoûtement et que les électeurs reprennent leurs sens une fois dans l'isoloir. Si toutefois, le NPD devient l'opposition officielle, il faudra que les libéraux fassent un sérieux mea culpa pour la campagne saugrenue qu'ils ont menée en surenchérissant sur les promesses néo-démocrates au lieu de se présenter comme un parti de gouvernement sérieux et responsable. Il faudra aussi qu'ils ravalent leur morgue et qu'ils se penchent sérieusement sur la possibilité d'une fusion PLC-NPD pour offrir aux Canadiens un véritable contrepoids, de centre gauche, aux conservateurs et à leur programme de centre droit. Si, lundi, les Canadiens votent en vertu de l'image plutôt que du programme et qu'ils désignent des députés ineptes, ils n'auront qu'eux-mêmes à blâmer.

Pierre Calvé

Professeur au département de linguistique de l'Université d'Ottawa de 1969 à 2001 et doyen de cette faculté de 1994 à 1997

PRÉSENCE SALUTAIRE

La présence du NPD en tant qu'opposition officielle serait très salutaire pour notre démocratie qui se sortirait enfin du carcan du bipartisme en tant que seule alternative de part et d'autre de la Chambre. Jack Layton, par son expérience, sa personnalité, ferait un excellent chef de l'opposition. Après avoir tant reproché à M. Ignatieff ses nombreux votes aux côtés des conservateurs, il aurait enfin l'occasion de montrer vraiment de quel bois il se chauffe et de ramener le jeu vers le centre de l'échiquier. Contrairement au chef libéral, il n'a jamais promis qu'il n'y aurait pas de coalition et une telle perspective devrait tempérer quelque peu l'arrogance du gouvernement, à condition bien sûr qu'il ne soit pas majoritaire. Si le NPD joue bien ses cartes, il pourrait s'élever en tant que parti à la hauteur de ses responsabilités et éviter de n'avoir été que le feu de paille de service comme l'a été l'ADQ au Québec en 2007. Il offrirait aussi aux Québécois une bonne solution de rechange au Bloc, dont l'échéance à Ottawa semble bien se rapprocher. Le Parti libéral, pour sa part, pourrait profiter de l'occasion pour repenser son programme et revoir sa gouvernance. Il devrait aussi, comme tous les Canadiens d'ailleurs, se réconcilier avec l'idée qu'un gouvernement de coalition est de loin préférable à un gouvernement qui peut faire la pluie et le beau temps avec 35% des voix. Cette élection dont personne ne voulait pourrait bien passer à l'histoire.