À votre avis, quel a été le tournant de la campagne électorale? Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette campagne?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique, à Québec

LA MONTÉE INATTENDUE DU NPD

Comme je l'ai déjà mentionné, les électeurs sont victimes d'ignorance rationnelle. Ils consacrent peu de temps et dépensent peu d'énergie à éclairer leur décision de voter pour un parti plutôt qu'un autre. D'ailleurs, malgré l'engouement NPD, plusieurs analystes déplorent la méconnaissance des candidats et du programme de ce parti chez l'électorat. En réalité, pour s'informer, les électeurs s'en remettent la plupart du temps aux médias. À mon avis, le tournant de la présente campagne électorale s'est produit à la suite du débat des chefs lorsque les médias ont dévoilé de manière spectaculaire, sinon dramatique, des résultats de sondage prédisant une montée inattendue du NPD dans les intentions de vote. Déçus par le discours usé et sans originalité des libéraux et du Bloc, plusieurs électeurs, frileux à l'idée d'élire un gouvernement conservateur majoritaire, ont alors pris le train NPD sans trop se poser de questions. Cet effet de mode (bandwagon) s'est répandu à l'échelle du pays, telle une vague de fond qui amena des milliers d'électeurs à aligner leur vote sur la saveur du jour. Le tout devrait se confirmer lundi, à moins qu'un revirement de dernière minute ne conduise certains électeurs à revenir vers des partis ou des personnalités en difficulté.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

IGNATIEFF ET DUCEPPE, LES GRANDS PERDANTS

Beaucoup d'électeurs ne voulaient pas de cette campagne. Pourtant, on verra probablement le taux de participation augmenter. Les faits saillants seront sans doute la montée fulgurante du NPD, l'incapacité du PLC de convaincre l'électorat qu'il est une alternative crédible et le recul marqué du Bloc au Québec. Même si le Canada va mieux que n'importe quel pays, on se méfie des conservateurs, on ne fait pas confiance aux libéraux, on donne une chance aux néo-démocrates comme contrepoids à Harper et au Québec, on estime que le Bloc n'a plus le monopole de la défense des intérêts du Québec. Les grands perdants seront Ignatieff et Duceppe.  Le premier verra ses chances de devenir premier ministre s'évanouir et le second devra enfin cesser de se prendre pour le Québec tout entier. Le simplisme du discours du Canada contre le Québec ne marche plus et il faudra que les souverainistes le renouvellent sans Gérald Larose! Tant les conservateurs que les libéraux devront retrouver la capacité de développer une vision nationale rassembleuse. Malgré l'euphorie et même s'il forme l'opposition, Layton pourrait subir le même sort que Mario Dumont lorsqu'on se donnera enfin la peine d'étudier son programme.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

UNE TENDANCE LOURDE?

Personne ne sait exactement quel événement a fait basculer cette campagne fédérale de l'hypothèse d'un gouvernement majoritaire conservateur à celle d'un gouvernement de coalition progressiste dont le NPD serait la composante principale. Le sondage problématique qui annonçait une percée du NPD a-t-il cristallisé une tendance alors surtout virtuelle? Peut-être. L'a-t-il créé de toutes pièces? C'est improbable. C'est une tendance plus ou moins souterraine de notre société qui s'est radicalisée au cours des derniers jours en transformant le NPD en instrument exprimant l'exaspération populaire envers la classe politique. Mais il ne faut pas surinvestir la charge idéologique de ce vote annoncé en faveur du NPD. Les Canadiens ne viennent pas de se convertir d'un coup à la gauche décomplexée. C'est davantage la charge populiste de cette vague qu'il faut mentionner, son caractère anti-establishment. Dans une perspective québécoise, on ajoutera une variable: l'instabilité de l'électorat depuis une décennie, qui s'est portée successivement sur l'ADQ, les «lucides», les conservateurs, François Legault et qui se tourne actuellement vers le NPD dans un semblable mouvement en espérant trouver une porte de sortie à un débat politique calcifié, à une société profondément paralysée. Pour l'instant, c'est l'ivresse. Gare à la gueule de bois: elle sera désagréable.

Guy Ferland

Enseignant de philosophie au Collège Lionel-Groulx

JACK THE KNIFE

Il est clair pour moi que les débats des chefs, tant en anglais qu'en français, ont été les tournants dans la campagne électorale. Avant le premier débat, on se dirigeait tout droit vers la répétition des résultats de la dernière élection: un gouvernement conservateur minoritaire avec le Parti libéral comme opposition officielle. Dans le débat en anglais, M. Layton a attaqué de front M. Ignatieff en lui reprochant de ne pas avoir été assez présent en Chambre et d'avoir appuyé trop souvent les conservateurs. Il a souligné habilement que les vieux partis tournaient en rond à Ottawa. Dans le débat en français, il a piqué au vif M. Duceppe en lui mettant sous le nez que le NPD pouvait compter des buts, tandis que le Bloc ne peut jouer que défensivement. Du même souffle, il a ajouté que le NPD offre aux Québécois une solution de remplacement aux anciens partis. De plus, la formule des «conditions gagnantes pour le Canada au Québec» a été le fait saillant de la campagne en inversant la perspective traditionnelle de l'affrontement entre les intérêts du Québec et ceux du ROC. Lors des débats, Jack avait le couteau entre les dents et il a montré une fermeté qu'on ne lui connaissait pas.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

SI LA TENDANCE SE MAINTIENT

Les politiciens peuvent bien répéter ad vitam aeternam qu'ils ne commentent pas les sondages, ils n'ont eu d'autre choix que de tenir compte de leurs résultats lors de cette campagne. La remontée fulgurante des intentions de vote pour le NPD aura été LE tournant de cette course. Si la tendance se maintient, nous aurons droit à un nouveau portrait politique à Ottawa. Jack Layton, qui bénéficie d'un grand capital de sympathie, sera probablement chef de l'opposition officielle face à un Stephen Harper et ses troupes conservatrices affaiblis par l'effet Layton. Reste à voir si les conservateurs formeront un gouvernement majoritaire ou minoritaire. Quant à Michael Ignatieff, son destin politique ne sera guère reluisant. Lui qui n'a pas réussi à renouveler l'idéologie de son «vieux» parti sera vite relégué aux oubliettes et poussé vers la sortie par les nombreux courtisans au poste de chef du PLC. Le Bloc et Gilles Duceppe n'auront pas, cette fois-ci, été à l'écoute de la majorité de l'électorat qui désire un profond changement afin de mettre un terme aux sempiternelles guerres fédéralistes-souverainistes. Outre les interminables topos portant sur les chefs embrassant des centaines de dames et de bébés tout en serrant des milliers de mains, le contrôle excessif exercé par les proches de Stephen Harper sur les médias aura aussi attiré mon attention. La campagne fédérale 2011 restera gravée dans ma mémoire. Non pas pour les promesses ou les incartades de certains chefs, mais plutôt pour la capacité d'un peuple vivant en démocratie de demander et obtenir un changement en donnant la chance à un autre joueur.

Mélanie Dugré

Avocate

UN INTÉRÊT SOUDAIN ET INATTENDU

Je ne saurais identifier le moment précis où le vent a tourné mais un bon matin, la population s'est levée et a décidé d'accorder de l'intérêt à ce qui se passait sous ses yeux. Preuve de l'imprévisibilité de la machine électorale, cette campagne n'aura pas été ennuyante et ceux qui prédisaient des semaines moroses auront eu tout faux. Les électeurs ont écouté les débats des chefs, ils ont commenté les parcours des candidats et ont suivi l'actualité de la campagne. J'accorde un certain crédit aux médias sociaux qui ont eu un impact important et fort intéressant au cours de ce marathon. À plusieurs égards, ils ont permis aux citoyens de ne plus être confinés au rôle de spectateurs et de devenir des acteurs impliqués dans le processus électoral. Nous sommes encore loin de la frénésie que provoque le Canadien de Montréal en séries éliminatoires, mais il est rassurant de constater que l'avenir du Canada peut encore nous captiver. Cet intérêt soudain et inattendu pour la chose politique dont nous avons fait preuve au cours des dernières semaines nous rappelle que malgré les imperfections de notre système, il fait bon vivre dans un pays comme le nôtre et la démocratie a bien meilleur goût.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

LE «JACK-POT»

À force de louanger la performance de Jack Layton au débat des chefs et de parler continuellement des résultats de divers sondages, certains médias ont créé de l'engouement autour du chef du NPD. La popularité des partis politiques s'apparente à une Bourse lorsque la valeur d'un titre s'accroît, il attire l'attention. Pourtant, Jack Layton a eu la même attitude positive au cours des dernières élections, mais cette fois-ci, les conditions gagnantes l'ont favorisé. En période de crise, les investisseurs se réfugient dans l'or. En période d'insatisfaction politique, les intentions de vote se sont réfugiées au NPD. La leçon à tirer de cette campagne: la personne qui aspire à devenir premier ministre du Canada doit être charismatique et lancer son message de façon positive. Lors du débat, les chefs du PLC, du Bloc et du PLC avaient une attitude négative envers leurs opposants. Maintenant, il ne faut plus tenter de démolir ses adversaires, mais plutôt vanter son propre programme. Pour critiquer notre vision des choses, il faut parfois se positionner d'un point de vue externe. Imaginons un parti de l'Ouest canadien qui dirait: «Si c'est bon pour le Manitoba, on vote pour, si c'est mauvais pour le Manitoba, on vote contre». Du point de vue canadien, ce discours pourrait sembler simpliste pour un parti devant se soucier de la réalité canadienne dans lequel il évolue. C'est peut-être la réflexion que les Québécois ont eue à propos du Bloc québécois. Jack Layton doit se pincer tous les matins en écoutant la radio. En 2011, le NPD a frappé le «Jack-pot», que ce soit logique ou non. Jack «Patrick Roy» Layton est le gardien qui se dresse devant ses poteaux.