Le cardinal Marc Ouellet ferait partie des candidats les plus susceptibles d'être élu pape à la mort de Benoît XVI. Croyez-vous réellement en ses chances de succéder un jour à Benoît XVI? Selon vous, quel impact aurait son accession à la papauté sur la ferveur religieuse des Québécois?

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Éric Bédard

Historien et professeur (Teluq)

UNE FIERTÉ LÉGITIME

Si Marc Ouellet devenait pape, cela aurait certainement un très grand retentissement. Sans adhérer aux idées de Marc Ouellet ni se réconcilier avec les doctrines actuelles de l'Église, bon nombre de Québécois en tireraient une légitime fierté. Après tout, le catholicisme ne fait-il pas partie de notre histoire? Qu'on le veuille ou non, la naissance de notre peuple doit beaucoup aux religieux et aux religieuses qui rêvaient de convertir les «sauvages» et de civiliser le Nouveau Monde. Après les rébellions de 1837, l'Église catholique est devenue l'institution dominante d'une société dominée. Elle a mené des luttes courageuses pour le «bon parler français» et la défense des minorités canadiennes-françaises hors Québec. Contrairement à ce que plusieurs pensent, de nombreux révolutionnaires tranquilles étaient de vrais catholiques qui rêvaient d'une foi mieux partagée et plus authentique. Évidemment, l'Église catholique a aussi un lourd passif: censure, paternalisme moral, intrusion dans la vie privée des couples et des femmes. Après son passage aux audiences de la commission Bouchard-Taylor, Marc Ouellet a demandé pardon aux fidèles pour ces errements du passé. Son élection comme pape ramènerait-elle les Québécois à l'Église? À court terme, j'en doute fort. Mais son exemple pourrait susciter des vocations pour l'avenir.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique, à Québec

UNE FIGURE INFLUENTE

L'élection d'un nouveau pape s'apparente à une élection corporative. Les votants, un peu plus d'une centaine d'hommes - soi-disant guidés par l'Esprit Saint - choisissent alors celui qui deviendra chef de l'Église catholique romaine. Comme pour toute élection, ce seront les jeux d'influence, ici entre les diverses factions de cardinaux, qui permettront à un candidat de remporter cette «course à la chefferie». Même si je ne suis pas dans le secret des dieux, je ne suis pas surpris que Mgr Ouellet, qui a passé une grande partie de sa carrière dans les coulisses du Vatican, soit considéré comme un prétendant sérieux à la succession de Benoît XVI. Cela dit, il reste que l'élection d'un nouveau pape a toujours été un événement médiatique d'envergure internationale. Les médias du monde y sont présents et des millions de fidèles suivent l'événement avec assiduité, attendant patiemment la sainte fumée blanche. Le pape, qu'on le veuille ou non, reste une figure influente de la politique internationale. Aussi, l'élection d'un des nôtres comme chef de l'État du Vatican constituerait un élément de fierté pour plusieurs et ne pourrait que stimuler la ferveur religieuse des Québécois, du moins chez les plus âgés. Rappelez-vous l'engouement suscité par la canonisation de frère André!

Mélanie Dugré

Avocate

UNE FROIDE INDIFFÉRENCE

Mon opinion à l'égard de l'institution de l'Église catholique est plutôt sombre. À une époque, les représentants de Dieu jouissaient d'une emprise démesurée et d'un incommensurable pouvoir sur la population, pouvoir dont ils ont trop souvent abusé. Dans les années 40 et 50, le curé débarquait chez mes grands-parents maternels et les menaçait d'aller en enfer si ma grand-mère, malgré sa santé fragile, ne mettait pas un enfant au monde par année. Je pense aussi à tous les crimes sexuels, en partie causés par des interdits malsains, qui ne cessent d'éclater au grand jour et à la souffrance des victimes. Je refuse de croire que Dieu, s'il existe, ait pu cautionner de tels comportements. Que Marc Ouellet puisse succéder au pape me laisse de glace. Le regard dur et hautain de cet homme, ainsi que sa position sur des questions d'actualité comme l'avortement, m'inspirent colère et indignation. Il m'est impossible de prédire ses chances de succès, mais advenant qu'il accède à la papauté, il n'est pas exclu que la ferveur religieuse de certains irréductibles s'intensifie. Pour ma part, je crois que la foi va au-delà des traditions dépassées et des règles inflexibles de cette Institution.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

LE CATHOLICISME EN HÉRITAGE

Un pape québécois ramènerait-il les Québécois à la pratique religieuse? Étrange question. D'abord un fait: la politique vaticane fonctionne à partir de calculs si subtils qu'ils se dérobent aux simples mortels étrangers à ses jeux de pouvoir. Évitons donc les spéculations abusives et posons la question autrement. Longtemps terrain privilégié du catholicisme, le Québec en est depuis un demi-siècle une province en déshérence. Sauf certains marginaux cultivant une esthétique réactionnaire, personne ne souhaite revenir au Québec d'avant 1960. La sécularisation québécoise est un acquis et la laïcité, une conquête précieuse. La fracture de 1960 était néanmoins trop brutale. Cinquante ans après la Révolution tranquille, il est temps aujourd'hui de poser la question de notre héritage catholique sans la noyer dans le mythe de la Grande noirceur. Un nombre croissant de Québécois tâtonne en cette direction, d'ailleurs. Les Québécois se réapproprient partiellement leur héritage catholique comme un symbole de leur appartenance à la civilisation occidentale, pour rappeler que le Québec n'est pas une page blanche. Une certaine mémoire du catholicisme se présente non plus comme une foi, mais comme un héritage culturel. Au fond, autour de la question du catholicisme se joue celle de la réconciliation des Québécois avec leur passé.

Francine Laplante

Femme d'affaires et présidente de la fondation des Gouverneurs de L'Espoir

ABOLIR LA PAPAUTÉ

Le cardinal Marc Ouellet a déjà soutenu que rien, pas même un viol, ne justifiait l'avortement qui doit être considéré comme un crime «moralement». Vous me dites que ce même cardinal pourrait être élu pape? J'ai encore en mémoire l'image d'un être hautain, moraliste et inaccessible. Le simple fait qu'il soit un candidat hautement considéré me donne des frissons. Le cardinal Ouellet fait partie de cette vague de vieux catholiques qui ont causé des dommages irréparables à la ferveur religieuse des Québécois. Je suis croyante, je crois à la bonté de l'être humain, je crois à la compassion, à l'empathie, au respect et à la justice, mais je ne crois pas à la puissance de ces individus qui n'ont rien fait d'autre dans leur vie à part juger et moraliser. Je n'arrive pas à croire que nous puissions donner encore aujourd'hui autant d'importance à ces religieux. Qu'ont-ils fait pour changer le monde? Pour améliorer le sort des milliers d'enfants qui meurent de faim? Envers les milliers de victimes des prêtres pédophiles? Nous pourrions continuer longtemps, la liste est longue. Il faut revoir en entier l'Église catholique, et il faut abolir cette hiérarchie injustifiée...

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette

TOUT EST POSSIBLE!

Le cardinal Marc Ouellet, nommé récemment à Rome comme préfet de la Congrégation des évêques, a réellement des chances de succéder à Benoît XVI pour plusieurs raisons. C'est d'abord un homme d'Église dont la fidélité au magistère est plus que certaine. C'est aussi quelqu'un qui est capable de travailler au niveau universel de l'Église catholique. Il s'exprime en plusieurs langues et il a une expérience pastorale importante dans des pays d'Amérique latine. C'est évident que pour un Québécois, occuper le plus haut poste de l'Église catholique est un prestige sans précédent et je pense sincèrement que Mgr Ouellet possède toutes les qualités requises pour cette fonction. Par ailleurs, la question qu'on doit se poser est la suivante: pour l'Église du Québec, Mgr Ouellet est-il le pasteur dont nous avons besoin pour stimuler la foi chrétienne chez nous? Personnellement, je suis incapable de répondre à cette question. Son passage comme archevêque de Québec, ses prises de position sur des sujets litigieux, son manque de solidarité avec l'Assemblée des évêques du Québec, ont laissé un goût amer chez les catholiques d'ici, de sorte que je ne suis pas certain que son élection comme pape serait un plus pour les chrétiens du Québec. Il nous faudrait vivre tous et toutes une sorte de réconciliation avec lui. Ce qui est possible! Car dans la foi tout est possible, même l'impossible.