Le gouvernement Charest vient de lancer en grande pompe le Plan Nord. En vertu de ce plan de développement du Nord québécois, le gouvernement prévoit des investissements de 80 milliards sur 25 ans dans l'exploitation des richesses naturelles du Nord. Êtes-vous favorable à cette initiative? Croyez-vous que les investissements prévus se concrétiseront? Craignez-vous pour l'environnement de ces immenses territoires?

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Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique, à Québec

PERDONS LE NORD ENSEMBLE

Partenariat, développement durable, lutte au réchauffement climatique, protection de l'environnement... La présentation de notre premier ministre ne manquait pas de candeur. Tout le monde convient que c'est beau les baleines, les paysages à l'infini, les rivières gigantesques. Mais que valent ces ressources sans subvention? Pas grand-chose, si on considère l'actuel développement du Nord québécois. En fait, le Plan Nord n'est qu'une illusion de politicien vertueux; une vision bureaucratique du développement qui ne s'appuie sur aucune base économique solide. Dans les années 1950, le développement minier était en plein essor et on considérait la Côte-Nord comme une terre promise. Les économistes du temps prédisaient qu'elle s'enrichirait de centaines de milliers d'habitants. La réalité, c'est qu'en 1980, on a fermé Schefferville et on a rasé Gagnon. Dans 25 ans, le Grand Nord comptera peut-être plus de kilomètres d'asphalte, mais pas nécessairement plus d'emplois. Des routes et des aéroports qu'il faudra entretenir alors même qu'on est incapable d'entretenir les infrastructures existantes. En 2040, après avoir investi plus 80 milliards de dollars, on devra peut-être, pour des raisons économiques, faire comme dans les années 1980: tout détruire. Aujourd'hui, je me disais que le slogan du gouvernement n'aurait pas dû être «Faire le Nord ensemble» mais «Perdons le Nord ensemble»!

Françoise Bertrand

Présidente de la Fédération des chambres de commerce du Québec

UN PLAN AUDACIEUX

Le Plan Nord du gouvernement s'inscrit dans une vision à long terme et planifiée du développement économique du Québec. Au-delà des retombées et des investissements prévus, il y a là une véritable volonté de créer un climat propice, stable et prévisible. La mise sur pied de la Société du Plan Nord constitue un excellent moyen pour s'assurer que le Plan sera rigoureusement suivi. Le financement de la Société, provenant du Fonds du Plan Nord, un fonds à fin déterminée, dans lequel seront notamment versées les retombées fiscales tirées des nouveaux projets, démontre que l'avenir du Plan est garanti, puisqu'il sera à l'abri des fluctuations de l'économie, qui affectent généralement les dépenses courantes du gouvernement. De plus, les 500 millions de dollars répartis sur cinq ans et gérés par Investissement Québec, pour des prises de participation des Québécois dans les projets du Plan Nord, confèrent une voix aux Québec dans cette mise en valeur de nos richesses naturelles. J'applaudis la décision du gouvernement de mettre en valeur ce vaste pan de territoire exceptionnel, tout en mettant l'accent sur les énergies renouvelables et en intégrant toutes les dimensions du développement de la vie nordique.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

ÇA SENT L'IMPROVISATION

Jean Charest cherche une façon de laisser sa trace dans l'histoire, mais pour une fois, il faut tenter de réfléchir avant d'agir. La population du Québec a le droit de soulever plusieurs inquiétudes après avoir vu l'improvisation du gouvernement du Québec dans le dossier des gaz de schiste. Développer le Grand Nord, ça veut dire mettre en place des routes, des systèmes de transport, créer de nouvelles villes et vendre nos ressources: c'est engager des coûts maintenant et à long terme. Cela veut aussi dire de faire intervenir le secteur privé et d'exiger des redevances actuelles pour des valeurs futures. C'est à ce niveau que se situe ma plus grande inquiétude. C'est-à-dire que le gouvernement minimise la valeur des ressources vendues en échange d'emplois bien rémunérés: finalement, avoir une vision trop à court terme. Assurons-nous d'arrêter de nous comporter en amateur devant des corporations. Vous voulez nos ressources? Voici nos trois conditions: 1) Assurez-vous de minimiser l'empreinte écologique et mettez en place un plan de restauration du site exploité; 2) Rémunérez les citoyens du Québec équitablement pour les ressources qui seront puisées dans le Grand Nord du Québec; 3) Ne comptez que sur vos propres capitaux: la population vous donne accès à ses ressources, ne nous demandez pas de vous subventionner pour le faire. Personnellement, j'étais beaucoup plus emballé par le projet d'acquérir la capacité de production et le réseau de distribution d'électricité du Nouveau-Brunswick, projet qui est tombé sous le mécontentement populaire de nos voisins de l'Est. Jean Charest tente de s'inspirer de Robert Bourassa, mais en a-t-il l'étoffe?

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

LE MYTHE DU NORD

Le mythe du nord est au coeur de l'imaginaire politique du PLQ. On sait pourquoi. Robert Bourassa avait trouvé dans le Nord un nouvel espace où déployer l'esprit conquérant de la Révolution tranquille, certainement ce qu'elle avait de mieux. L'héritage est réel. Depuis, lorsque les libéraux veulent atteindre une certaine grandeur, ils cherchent à réactiver ce mythe. Ne nous trompons pas: ce projet politique est aussi une opération politicienne, celle d'un premier ministre qui veut passer à l'histoire pour autre chose que ses récents déboires. Mais c'est un fait qu'une partie de l'avenir du Québec se trouve dans ce nord manifestement sous-exploité. On pense notamment aux ressources minières, dont le gouvernement veut légitimement favoriser l'exploitation. Évidemment, les critiques se feront entendre. Surtout les écologistes et autres admirateurs de la nature morte, celle sur laquelle l'homme ne laisse pas son empreinte et qui est belle de désolation. Il ne faudra pas leur accorder une importance démesurée. On peut même espérer que ce Plan Nord, pour peu que les libéraux ne l'instrumentalisent pas au service de la seule partisanerie, rassemble les Québécois au-delà de leurs divisions traditionnelles. Le Québec y trouverait un nouvel horizon où voir grand. Il en a bien besoin.

Pierre-Oliver Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal

APPLIQUONS D'ABORD LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Tout comme il est étonnant de voir le Parti conservateur s'enorgueillir de bien gérer l'économie quand il prône une non-intervention du gouvernement, il est un peu surprenant de voir le gouvernement Charest se lancer dans un exercice d'économie planifiée sur plusieurs quinquennats. Pourquoi ne pas simplement offrir du support aux acteurs locaux lorsqu'ils veulent prendre l'initiative de développer le Nord? Est-ce le rôle du gouvernement de promouvoir l'exploitation des ressources naturelles? Si oui, alors pourquoi ne pas le faire sous le giron d'entreprises d'État, pour que tous les profits aillent dans ses coffres? Ce projet est d'autant plus problématique que dans un premier temps, le plan n'est qu'une approche pour faire des investissements publics (notamment en routes) au profit d'entreprises minières privées. Alors que nos sociétés font face à un emballement de la consommation des ressources naturelles, l'heure n'est plus à ce genre de subventions indirectes. Depuis 2006, les 16 principes du développement durable - issus d'une loi créée par le gouvernement Charest - ne sont toujours pas rigoureusement mis en pratique: production et consommation responsable, pollueur-payeur, internalisation des coûts... le Plan Nord ne va pas les respecter. Avant d'entamer davantage le capital naturel du Québec, il faudrait d'abord s'assurer que notre consommation soit responsable.

Karel Mayrand

Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki

LA DERNIÈRE FRONTIÈRE

Le Plan Nord qui vient d'être annoncé est un retour vers le futur. En 1670, déjà, la couronne britannique offrait à la Compagnie de la Baie d'Hudson la majeure partie du nord pour en extraire les fourrures. L'Amérique entière s'est fondée sur le mythe de terres vierges à conquérir, le plus souvent au détriment des populations autochtones et des écosystèmes. On doit donc saluer l'intention affichée du gouvernement de soustraire 50% du territoire à l'exploitation industrielle et de protéger 12% du territoire. Saluons également le dialogue établi avec les nations autochtones. Mais au-delà des intentions, le Québec a raté l'occasion de garantir le maintien de son capital naturel au bénéfice des générations futures en adoptant de vraies mesures de protection. Lorsque de nouvelles routes rejoindront les rivières et les forêts millénaires du Nord, elles atteindront la dernière frontière naturelle encore intacte du Québec. Les écosystèmes du Nord en seront à jamais appauvris pour en extraire des métaux, des arbres et des mégawatts.  La nature nous procure des services inestimables bien documentés scientifiquement, mais ceux-ci n'ont aucune valeur sur les marchés. La nature millénaire contre quelques décennies d'extraction. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Ce sera à nos petits-enfants d'en juger.