Pour s'assurer de leur intégrité et d'une parfaite étanchéité entre eux et le monde de la construction, le gouvernement Charest entend désaffilier de la FTQ les 250 syndiqués de la Commission de la construction du Québec qui ont des pouvoirs d'enquête. Furieuse, la FTQ estime qu'il s'agit d'une «attaque» de la présidente de la CCQ, Diane Lemieux, qui survient alors que la centrale syndicale a entrepris de contester le programme de vérification des antécédents des employés de la CCQ. D'après vous, qui a raison?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Serge Cadieux

Directeur exécutif du Syndicat canadien des employées et employés professionnels et de bureau (SEPB) et vice-président de la FTQ Montréal

UN ÉCRAN DE FUMÉE

En déposant le projet de loi 15, qui retire aux inspecteurs et techniciens le droit d'appartenir au syndicat de leur choix (garanti par la Charte des droits et libertés), comme solution à la lutte contre les allégations de corruption dans l'industrie de la construction, la CCQ et le gouvernement font fausse route. En fait, cela n'est qu'un écran de fumée afin de masquer l'inertie de Québec qui refuse toujours de mettre en place une commission d'enquête sur l'octroi des contrats dans l'industrie de la construction, comme le réclament le SEPB, la FTQ et ses syndicats affiliés, tout comme l'ensemble de la société civile. Sinon comment expliquer cette attaque contre les travailleurs de la CCQ sur lesquels, rappelons-le, aucun soupçon ou allégation de malveillances ne pèse. On le constate, on est en train de faire des employés syndiqués les boucs émissaires d'une situation qu'ils combattent. Le personnel de la CCQ est l'outil le plus efficace qu'il soit contre la corruption. Depuis plus de 15 ans, le travail du personnel a permis à Québec de récupérer 2,4 milliards de dollars. La participation de la CCQ à l'unité permanente anticorruption donne aux travailleurs la chance d'être encore plus efficients dans la lutte contre le travail au noir, les fausses factures et le blanchiment. Les employés ne contrôlent pas les règles d'octroi des contrats du gouvernement et des municipalités et encore moins les dons des entrepreneurs aux partis politiques. Plutôt que d'attaquer son personnel, la PDG de la CCQ aurait intérêt à respecter l'entente conclue avec le syndicat sur le programme de vérification sécuritaire des employés et d'attendre la décision de l'arbitre dans ce dossier.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

LE GROS BON SENS

Les syndicats au Québec ont toujours eu la peau sensible quand ils pensent qu'ils sont dans leur droit. Mais, ici, la FTQ a non seulement complètement tort, mais elle devrait se taire vis-à-vis l'absurdité de la situation actuelle. Le gouvernement Charest a décidé qu'il n'y aurait pas d'enquête globale sur l'industrie de la construction. À la place d'une enquête, il prend une série de mesures qui devraient, du moins en partie, faire la lumière sur ce qui se passe véritablement dans l'industrie de la construction. Dans ce contexte, l'intégrité de tous ceux qui ont des pouvoirs d'enquêtes au sein de la Commission de la construction du Québec se doit d'être sans reproche et, surtout, sans apparence de conflits d'intérêts. Tout le monde sait très bien que la FTQ a été et est peut-être encore partie du problème des scandales qui ont secoué la construction au Québec. Conséquemment, exiger que les 250 syndiqués de la CCQ, qui ont des pouvoirs d'enquête, se désaffilient de la FTQ n'est pas seulement dans la normalité des choses, mais c'est le gros bon sens, car ils n'auraient jamais du être affiliés dans le passé à une des parties prenantes aux problèmes de la construction. En ce qui a trait à Diane Lemieux, elle a raison de mettre en place un programme de vérification des antécédents des employés de la CCQ. Quand des gens ont des pouvoirs d'enquête, ils doivent montrer patte blanche.

Mélanie Dugré

Avocate

LA FÊTE EST FINIE

Malgré le refus du gouvernement Charest de tenir une commission d'enquête sur l'industrie de la construction, l'escouade Marteau et la nomination de Diane Lemieux à la CCQ permettront d'amorcer un ménage trop longtemps négligé. Si on veut redonner sérieux et crédibilité aux institutions en place, un minimum de transparence, de rigueur et d'indépendance est requis. En ce sens, le fait de désaffilier de la FTQ les enquêteurs de la CCQ est un point de départ logique et sensé. Le fait pour la FTQ d'invoquer le programme de vérification des antécédents des employés démontre l'énergie du désespoir avec laquelle la FTQ est prête à se battre pour préserver ses acquis et pour ne pas céder un iota des larges pouvoirs dont elle jouit. Bien sûr que la FTQ préférerait le statu quo; pas facile, pour cette grande centrale syndicale de descendre de son piédestal et d'accepter qu'il y aurait place au changement et à l'amélioration. Le mandat de Diane Lemieux est fort ingrat et elle devra faire une Popeye d'elle-même afin de s'attaquer aux dictats du monde de la construction. Avec cette annonce, elle relève ses manches et annonce à toute l'industrie que la fête est finie, les amis, et qu'il est temps de brasser la cage.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique, à Québec

DEVOIR DE NEUTRALITÉ

Est-il acceptable que la FTQ jouisse, même en apparence, d'un certain pouvoir auprès de l'organisme responsable de réglementer l'industrie de la construction? Non! Est-il souhaitable que «la police de la construction», dont le mandat est de lutter contre le travail au noir et l'intimidation, soit sous le joug du plus gros syndicat de l'industrie? Non! Les inspecteurs de la CCQ ont un devoir de neutralité. C'est une condition essentielle à leur travail. Aussi, il est normal que la présidente de la CCQ cherche à rétablir la crédibilité de son organisme en imposant un code d'éthique à ses inspecteurs. Michel Arsenault aura beau crier sur toutes les tribunes que la décision de Diane Lemieux constitue un recul historique et une attaque sans précédent à la liberté d'association, tout ça n'est que du vent. En réalité, il cherche seulement à imposer les syndicats partout, et ce, sans discernement. Il n'existe pas d'obligation légale, ni morale, d'avoir des syndicats dans tous les organismes ou entreprises du Québec. Par contre, les inspecteurs ont encore le droit de conclure individuellement un contrat de travail avec la CCQ. Aussi, ceux qui sont mal à l'aise avec cette décision ont encore la liberté de démissionner. Cela dit, le véritable problème de la construction, ce n'est pas les syndicats, mais la réglementation et le contrôle étatique de cette industrie.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

L'INDÉPENDANCE, UNE RÈGLE DE BASE

Pour répondre à cette question, faisons un parallèle. Lorsqu'un vérificateur (auditeur) externe vérifie une société, il doit en tout temps démontrer qu'il n'est pas en conflit d'intérêts ou en apparence de conflit d'intérêts. Donc, il ne doit pas être en relation d'affaires ou exercer des liens de familiarité avec la société vérifiée. Le fait d'être membre de la FTQ et de faire partie de la CCQ laisse présager une apparence de conflit d'intérêts. Dans ce cas, pour éliminer cette apparence de manque d'indépendance, il me semble raisonnable d'exiger que les gens travaillant à la CCQ soient désaffiliés de la FTQ. Je ne vois pas dans ce geste quelconque vendetta, simplement une saine gestion d'un organisme gouvernemental. Si les employés de la CCQ veulent se syndiquer, ils devraient constituer un syndicat qui n'est pas en lien avec les organisations qu'ils doivent chapeauter. Oublions la partisanerie, les enjeux politiques et autres débats connexes: l'indépendance est un principe de gros bon sens peu importe nos allégeances. Ne cherchons pas qui a tort ou qui a raison, mais plutôt, qu'elle serait la meilleure pratique dans cette situation. Poser la question, c'est y répondre.