Le chef du FMI, Dominique Strauss-Kahn, a été montré menottes aux poings par les autorités policières américaines. Toute la France s'est offusquée de ces images qui ont fait le tour du monde.  En France, il est interdit de montrer des images d'un accusé menotté parce qu'il bénéficie de la présomption d'innocence. Quelle est votre position à ce sujet?

Mélanie Dugré

Avocate



LA LOI DES APPARENCES

En s'offusquant ainsi de voir DSK menottes aux poings, la France exprime surtout son indignation devant la façon dont la justice américaine traite une de ses grandes figures politiques. Le scandale DSK met en vedette des mentalités aux antipodes l'une de l'autre quant aux traitements social, médiatique et juridique réservés aux moeurs des politiciens. Alors que les États-Unis sont prompts à tuer la une des journaux avec des histoires sans intérêt, la France, au contraire, pousse sous le tapis des scandales à saveur de crimes, créant ainsi une catégorie d'intouchables et une justice plus clémente pour les riches et puissants. Néanmoins, je crois que la présomption d'innocence est un principe juridique tout aussi cher à l'Amérique qu'à la France, menottes ou pas. La transparence, l'indépendance et la solidité du système judiciaire américain seront mis à l'épreuve dans les prochaines semaines alors que le processus juridique suivra son cours, sous le regard scrutateur du monde entier. La France aurait sans doute préféré taire cette esclandre et sa réaction scandalisée révèle que sur son territoire, la loi des apparences doit triompher, quel qu'en soit le prix et même si, au passage, de réels crimes demeurent impunis.



Mélanie Dugré

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette



ICI, ON AIME LE SENSATIONNALISME

Il est vrai que lorsqu'on voit un homme menotté, amené par une cohorte de policiers, dans l'esprit des gens, il est déjà coupable de l'accusation qui lui est portée. Dominique Strauss-Kahn, chef du FMI, n'échappe pas à cette règle. On a beau parler de la présomption d'innocence jusqu'à preuve du contraire, la pratique établie au Québec et dans toute l'Amérique, c'est tout à fait le contraire: il faut prouver son innocence; sinon, nous sommes coupables. Je crois certainement que cette façon de faire est injuste et discriminatoire; à la limite, on pourrait discréditer n'importe qui. Combien de personnes ont été accusées injustement, ici au Québec ou ailleurs au Canada? Même si la justice leur a été rendue, ces personnes n'ont pu rétablir complètement leur réputation; de sorte que, il demeure toujours dans l'esprit des gens, des doutes quant à leur intégrité, sous prétexte qu'il n'y a jamais de fumée sans feu. À ce chapitre, je crois vraiment qu'il nous faudrait imiter la France, par souci de justice et d'équité pour tous. Par ailleurs, comme nous aimons le sensationnalisme, il nous faudra trouver autres choses pour satisfaire la curiosité morbide de nos contemporains.



Raymond Gravel

Éric Bédard

Historien et professeur agrégé (Téluq-UQAM)



NÉCESSAIRE ET DANGEREUX

L'arrestation de Dominique Strauss-Kahn a été littéralement théâtrale. La police new-yorkaise avait prévu un scénario, une mise en scène. Comme de fiers justiciers, les policiers pavanaient leur grosse prise devant les caméras. Ce spectacle de la justice est à la fois nécessaire et dangereux. Nécessaire parce qu'il consolide la confiance des citoyens dans les institutions judiciaires. Voir des malfaiteurs arrêtés, menottés puis emprisonnés crée chez le citoyen un sentiment de satisfaction. Non pas seulement parce qu'un crime a été vengé - la loi du Talion - mais surtout parce que cela démontre que « justice a été rendue ». Cela nous conforte aussi dans notre conviction que le crime ne paie pas. Il faut l'admettre, ce sentiment de satisfaction s'accroît lorsqu'il s'agit d'un personnage puissant ou riche, car ces arrestations prouvent qu'en régime démocratique, nous sommes tous égaux devant la loi. Cette justice-spectacle est aussi dangereuse cependant, surtout lorsqu'elle survient avant qu'une preuve formelle ait été déposée devant la cour par les procureurs de l'État. C'est qu'il est un autre principe qu'on doit aussi respecter en régime démocratique : la présomption d'innocence. Fusse-t-il blanchi complètement, Dominique Strauss-Kahn restera à jamais souillé par ces images humiliantes. Dans un tel cas, la justice aura été mal servie.



Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires



OUI À LA MÉDIATISATION

Dominique Strauss-Kahn (DSK) est un homme influent qui occupe un poste très important. Il est aussi, jusqu'à un certain point, dépendant des médias afin de faire valoir les politiques monétaires du FMI. Lorsqu'un individu choisit d'être chef d'un organisme public, il sait, dès son premier jour en poste, que ses actions et ses gestes seront scrutés et rapportés par les médias.  Contrairement à la France, qui interdit de montrer DSK menottes aux poings, l'Amérique du Nord donne une grande latitude aux médias qui abreuvent notre soif de voyeurisme. Il faut dire aussi que nos cousins français sont quelque peu «arriérés» lorsqu'il s'agit de la défense des droits des femmes. En effet, cette société majoritairement tributaire du catholicisme n'est pas scandalisée, comme nous le sommes ici, par des hommes qui abusent de leur autorité afin d'assouvir leurs pulsions sexuelles auprès de leurs subalternes féminins. Ces attitudes, devenues inacceptables dans notre société, font toujours malheureusement partie des moeurs en France. La médiatisation de telles événements pourra n'être que bénéfique à l'avancement de la cause des trop nombreuses femmes victimes de harcèlement psychologique et sexuel, ici et ailleurs dans le monde. Il faudrait donc lever cet interdit de publication. Cela tant en France que dans tout autre pays du monde.



Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec

REVOIR LES PRATIQUES POLICIÈRES  

La présomption d'innocence est un concept juridique central dans la plupart des démocraties modernes. En ce sens, est-ce que les images montrant Dominique Strauss-Kahn menotté corrompent la présomption d'innocence de celui-ci? Menotter un individu implique que celui-ci a quelque chose à se reprocher. On peut donc présumer que montrer un individu en état d'arrestation suggère qu'il est coupable de quelque chose. Donc, devrions-nous forcer les médias à masquer ces images en invoquant la présomption d'innocence? Les médias sont d'abord et avant tout les yeux du public, la courroie de transmission entre la réalité et la population. Ils ont donc, au contraire, le devoir de montrer les faits tels qu'ils sont et nul ne peut nier que M. Strauss Kahn a été menotté. Il en va de la liberté de presse et du droit à l'information. Les médias ont toutefois la responsabilité d'informer adéquatement la population et de souligner l'innocence présumée du chef du FMI. En somme, montrer un individu menotté entache sa présomption d'innocence, mais on ne peut forcer les médias à cacher la réalité au public. Nous devrions donc nous questionner sur la pertinence de menotter un individu qui est innocent jusqu'à preuve du contraire plutôt que de remettre en question les pratiques journalistiques. La balle est maintenant dans le camp des forces policières!

Photothèque Le Soleil, Carl Thériault

Le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Léo Bureau-Blouin.