Selon la Vérificatrice générale Sheila Fraser, le gouvernement du Canada a dépensé plus de 600 millions pour la tenue au pays des sommets du G8 et du G20, l'été dernier. Cette année, la France a dépensé près de 30 millions pour la rencontre du G8, à Deauville. À votre avis, ces rencontres annuelles de chefs de gouvernement sont-elles utiles? Y aurait-il un moyen de faire en sorte qu'elles soient moins coûteuses? Les mesures de sécurité sont-elles excessives?

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Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage

DES RENCONTRES INDISPENSABLES

Il y aura toujours des rencontres au sommet dans le monde d'aujourd'hui. C'est non seulement normal, mais le contraire serait inquiétant. Les leaders mondiaux communiquent régulièrement entre eux, mais le G8 et le G20 leur permet de le faire d'une façon plus structurée. Ces sommets sont toujours utiles, même si la résultante est de démontrer qu'il y a des désaccords. Le problème le plus évident de ces sommets concerne la sécurité à l'ère du terrorisme international. Aucun des pays hôte ne veut être celui où se produira un incident majeur qui pourrait se solder par la mort d'un président ou d'un premier ministre. Imaginons un peu les critiques si le président des États-Unis ou le premier ministre du Royaume-Uni était assassiné lors d'une visite officielle au Canada. Dans ce contexte, les mesures de sécurité ne peuvent être excessives. Le problème vient du fait qu'un ministre important du gouvernement Harper a utilisé une bonne partie des fonds à des fins autres que la sécurité. Cela est tout simplement d'une imbécillité consommée digne d'une république de bananes.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

UN PRIX DÉMESURÉ, MAIS DES RENCONTRES UTILES

L'écart entre les 600 millions du G8 et du G20 organisés en sol canadien l'an dernier et les 30 millions du G8 de Deauville en France cette année est sans doute abyssal. Il y a certainement une explication plausible quelque part, mais un effort pour réduire ces dépenses dans des économies souffrant pour la plupart de déficits gouvernementaux importants demeure essentiel. Les coûts de ces rencontres au sommet ont toujours été critiqués et le seront probablement toujours. Depuis le 11 septembre 2001, la sécurité est devenue un facteur pour lequel on ne regarde plus à la dépense. Le seul déplacement du président américain entraîne des dizaines de millions de dollars de coûts pour le pays hôte. Mais je persiste à croire que dans un univers mondialisé, ces rencontres entre chefs d'État sont probablement utiles. En apparence, les résultats sont souvent mitigés. Toutefois, la possibilité d'échanger face à face, de tenir des rencontres bilatérales ou multilatérales en personne permet aux dirigeants politiques de mieux comprendre les positions des uns et des autres sur des questions complexes et d'entretenir un dialogue plus franc. Si l'on souhaite des dirigeants plus humains, il faut leur donner la latitude pour y arriver.

Louis Bernard

Consultant

OUI AUX SOMMETS, NON AU GASPILLAGE

Pour la première fois dans son histoire, l'humanité est devenue un tout qui vit à la même heure, partage les mêmes préoccupations et est soumis aux mêmes problèmes planétaires. Grâce aux progrès de l'information et des transports, la mondialisation est devenue une réalité de tous les jours. Malheureusement, cette nouvelle réalité a progressé plus vite dans les secteurs économiques et culturels que dans le domaine politique: nos gouvernements sont à la traîne sur l'évolution de l'humanité. Ils ont de la difficulté à adapter leur mode de fonctionnement aux exigences de la coopération internationale. C'est pourquoi il est important de favoriser le développement aussi rapide que possible de toutes les formes de concertation entre les pays, surtout entre les plus importants d'entre eux. Les sommets du G8 et du G20 entrent dans cette catégorie: ils sont indispensables, même si, pour le moment, leur utilité réelle reste limitée. Ils sont un rouage d'une gouvernance mondiale qui n'est encore que dans ses premiers états, mais qui se développe progressivement. Par contre, dans la mesure où ils deviennent permanents, les sommets devraient cesser d'être organisés chaque fois dans des endroits différents, entraînant des dépenses inutiles. Pourquoi ne pas tenir ces sommets dans des lieux déjà équipés pour ce genre de réunion? Cela en diminuerait grandement les coûts. Il ne faudrait pas, cependant, mettre au compte des sommets des dépenses qui ne sont, en définitive, qu'un abus de favoritisme purement politique utilisé à des fins partisanes, comme ce fut le cas lors du sommet de Muskoka-Toronto. Ce pur gaspillage ternit, à tort, la réputation des sommets... et, avec raison, celle du Canada.

Paul-Daniel Muller

Économiste

CHERS, MAIS NÉCESSAIRES

Les sommets réunissant les chefs de gouvernement les permettent de développer et de maintenir des liens personnels. Ces liens facilitent leur collaboration, notamment en temps de crise quand il faut en arriver rapidement à une réponse coordonnée. Mais ces rencontres attirent aussi des manifestants qui profitent de l'attention médiatique pour publiciser leur cause. Parmi les manifestants, il y a habituellement des extrémistes, ce qui justifie un dispositif de sécurité. Quand survient un accrochage avec la police, les manifestants réussissent parfois un formidable coup de pub. C'est le «crying game» tel qu'on l'a vu au sommet de l'OMC à Seattle en 1994 ou au Sommet des Amériques à Québec en 2001. Par ailleurs, ces accrochages fournissent aux médias ce dont ils raffolent: un spectacle bien plus sensationnel à couvrir que des discussions sur la politique monétaire ou commerciale. J'émettrai l'hypothèse que les médias qui dénoncent le coût de la sécurité à ces sommets pourraient contribuer à en faire baisser le coût en donnant moins de pub gratuite aux extrémistes, car c'est cela qui les attire. Cela dit, pour ce qui est du sommet du G20 à Toronto, le coût de 600 millions paraît hors de proportion avec ce qui se dépense ailleurs.

Guillaume Lavoie

Directeur exécutif, Mission Leadership Québec et Membre de l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul Dandurand

ESSENTIELS... SURTOUT POUR UN PETIT PAYS COMME LE CANADA!

L'ancien premier ministre Brian Mulroney aime répéter que: «Anyone who fails to appreciate that there is an important connection between good personal relationships among leaders and success in foreign policy understands nothing about either.» Plus que des lieux de décisions et d'annonces conjointes, les sommets sont surtout de rares occasions pour les chefs d'État (ainsi que les plus hauts fonctionnaires et conseillers) de se connaître au plan personnel et d'établir des liens de confiance - un élément clé pour le positionnement des intérêts d'un pays à l'international. Par exemple, l'accord de libre-échange avec les États-Unis n'aurait sans doute pas été conclu (avec un tribunal exécutoire) sans la relation personnelle entre M. Mulroney et les présidents Reagan et Bush père et le Secrétaire James Baker. Pour réduire les coûts (outre d'éviter Muskoka!), la solution passe sans doute par un retour à la formule originelle, plus intimiste, avec de petites délégations pour chaque pays. Au fil des années, la taille des délégations a littéralement explosé, dépassant souvent plus de 1000 personnes pour certains pays (ex.: États-Unis et Japon). Outre l'économie financière, les sommets y gagneraient en pertinence en redevenant un lieu intime et informel d'échanges.

François Bonnardel

Député adéquiste de Shefford

NÉCESSAIRES, MAIS LOIN DES GRANDS CENTRES URBAINS

Les grands sommets internationaux comme le G8 et le G20 ne doivent pas échapper aux soucis de rigueur qui incombe à toute dépense gouvernementale. De plus en plus, les pays décident d'organiser ces événements loin des grands centres urbains. C'est ce que la France a fait cette année en tenant les deux sommets à Cannes et à Deauville. L'an dernier, le Canada a décidé d'organiser le G8 à Muskoka, petite ville au nord de Toronto, mais c'est en plein centre-ville de la métropole canadienne que s'est tenue le G20. Il va de soi qu'en réunissant les chefs d'État des 20 pays les plus industrialisés dans une grande ville nord-américaine, le nombre de manifestants est fortement plus élevé et l'organisation des événements est infiniment plus complexe. Ce choix a nécessité la mobilisation de milliers de policiers et le dédommagement de nombreux commerçants, en plus de la fermeture d'importantes artères urbaines. Les sommes astronomiques qui ont été dépensées l'an dernier doivent nous servir de leçon et à l'avenir, lorsque le Canada sera l'hôte de tels sommets, il devrait privilégier des villes plus éloignées. Cela étant dit, les sommets internationaux demeurent utiles et il est nécessaire que les principaux chefs d'État de ce monde se réunissent sur les enjeux les plus criants de la planète.

Jean-Pierre Aubry

Économiste

OUI AUX RENCONTRES ET NON AUX DÉPENSES FOLLES

Ces rencontres sont utiles. Avec la mondialisation et l'émergence de problèmes économiques, sociaux et environnementaux qui doivent être abordés au niveau de la planète, il est important que les gouvernements trouvent ensemble des solutions et coordonnent leurs efforts. Cependant, ce n'est pas une excuse pour donner un «gros show» médiatique et dépenser follement des deniers publics. Il est sûrement possible d'organiser de telles rencontres dans des endroits plus retirés et où les coûts de la sécurité peuvent être relativement bas. Plusieurs gouvernements l'ont fait, dont la France et les États-Unis dernièrement. Si un gouvernement ne peut organiser de telles rencontres à un coût raisonnable sur son territoire, il ne doit pas poser sa candidature pour être l'hôte de telles rencontres. Finalement, c'est un bien mauvais signe de la qualité de la gestion d'un gouvernement si ce dernier ne peut organiser de telles rencontres à un coût raisonnable.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

UN CHAMP DE BATAILLE

Depuis que les groupes radicaux à tendance anarchisante ont transformé les sommets internationaux en champs de bataille, les gouvernements sont obligés de miser sur une politique sécuritaire de plus en plus affirmée pour éviter leur déstabilisation. On leur reproche. Que devraient-ils faire? Jouer la carte de l'angélisme? En fait, l'escalade semble inévitable. Plus les manifestants sont nombreux, plus l'État gonfle ses muscles. Les premiers y voient une provocation de trop, le deuxième craint encore plus les débordements. S'ajoute à cela qu'aux manifestants pacifiques se joignent souvent des voyous encagoulés prêts à faire de la casse en jouant à la révolution. Cela convenu, les débordements sont inévitables, et évidemment malheureux. Cela ne les rend pas inexplicables. Cela dit, faut-il questionner la mise en scène de cette gouvernance globale lors des sommets où l'overclass mondialisée s'expose avec satisfaction? Certainement. Pourrait-on les souhaiter moins nombreux? Probablement. Cette réflexion se scinde finalement en deux volets: tant que les sommets auront lieu, il faudra assurer leur protection et ne pas céder à l'intimidation de ceux qui préfèrent la menace de l'émeute à la délibération civilisée. Mais il n'est pas interdit de se questionner sur ces sommets, leur fréquence, leur coût et surtout ce qu'ils représentent.

Pierre Simard

Professeur, École nationale d'administration publique.

UNE PLATEFORME PUBLICITAIRE MONDIALE

Les sommets du G8 et du G20 sont censés permettre une concertation des chefs d'État sur les grands enjeux économiques internationaux. Au fil des ans, ils sont devenus des plateformes publicitaires mondiales. Aujourd'hui, on ne mesure plus le succès des sommets aux décisions qui y sont prises, mais à la couverture médiatique qui en est faite. C'est dans cette perspective que le Canada a dépensé une fortune pour refaire une beauté à la ville-hôtesse de Toronto. L'objectif inavoué? Bien recevoir les habitués de ces rencontres que sont les manifestants altermondialistes. Sans surprise, nos politiciens auront profité de l'occasion pour s'adonner à leur sport favori: le gaspillage de fonds publics. En fin de compte, ils auront dépensé plus de 600 millions de dollars pour permettre aux caméras du monde entier de retransmettre l'image d'un Canada démesurément riche et disposant d'une police entraînée et... super équipée. Bref, nous aurons réussi à convaincre le monde que le gouvernement canadien a un orgueil encore plus démesuré que celui des Français. Ce qui n'a rien de rassurant, avouons-le!

Hélène Laverdière

Députée de Laurier-Sainte-Marie, porte-parole du NPD en matière de coopération internationale

LE CANADA A ÉCHOUÉ

Les citoyens mesurent la valeur des sommets par leur capacité à faire avancer des enjeux majeurs comme les défis économiques, l'environnement, la paix et la sécurité et le développement. Pour le Canada, les sommets de Muskoka et Toronto étaient l'occasion de faire preuve de leadership avec un budget raisonnable. Or, le gouvernement a lamentablement échoué. Sur le plan du leadership, le gouvernement a donné une réponse timide face à son initiative sur la santé maternelle et n'a rien proposé de nouveau sur des enjeux cruciaux comme les changements climatiques. Deuxièmement, les coûts de plus de 600 millions de dollars frôlent la dérision, d'autant qu'une partie significative a servi à financer des projets somptueux dans des circonscriptions conservatrices. Troisièmement, les libertés civiles des citoyens ont été brimées par des mesures de sécurité excessives. En agissant de la sorte avec l'argent des contribuables, le gouvernement ne fait qu'augmenter le cynisme de la population envers ces sommets, surtout lorsque la France est en mesure de tenir un sommet du G8 avec un budget de seulement six millions de dollars. L'absence de nombreux documents soulignée par le Vérificateur général n'est qu'un des éléments qui justifie une enquête publique sur la gestion du G8-G20 par le gouvernement conservateur.