Un regroupement d'indépendantistes, le Réseau de résistance du Québécois, prévoit manifester à Québec, samedi, contre la visite du prince William et de sa conjointe Kate Middleton. Selon vous, ces manifestants devraient-ils s'abstenir pour éviter de nuire à l'image du Québec? Ou bien doit-on se réjouir qu'on puisse, chez nous, exprimer publiquement son opinion, quelle que soit cette opinion?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Guillaume Lavoie

Directeur exécutif, Mission Leadership Québec et Membre de l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand

POURQUOI SEULS LES INDÉPENDANTISTES?

Le rejet de la monarchie en général et au Canada en particulier n'est pas la prérogative des indépendantistes radicaux. En démocratie, c'est une conclusion logique. Comment le chef de l'État peut-il l'être par le seul droit du sang? Comment peut-on célébrer quelqu'un dont le plus grand accomplissement soit d'être né? Et comme Canadien, n'est-il pas ironique, pour ne pas dire franchement humiliant, que le chef d'État dudit pays n'y habite pas? La fin de la monarchie au Canada s'inscrit pourtant dans la suite naturelle de l'accession de la pleine souveraineté du pays. Née 1867, la Confédération a acquis sa personnalité internationale avec le Statut de Westminster en 1931. Cinquante-et-un ans plus tard vint le rapatriement de la Constitution (jusqu'alors une simple loi du Parlement britannique). L'accession à la souveraineté du Canada est un processus lent, soit, mais il reste inachevé. Dans le cadre de la visite princière, ce n'est pas la manifestation des indépendantistes radicaux qui est problématique, c'est la tolérance tranquille pratiquée par tous les autres Canadiens en désaccord avec la monarchie. Par leur silence, ils deviennent complices de la marginalisation de leur point de vue et de la cause républicaine en général.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

FAIRE PREUVE DE «FAIRPLAY»!

Nous vivons en démocratie et ceux qui rejettent le système monarchique ont le droit de le faire savoir. Ils ont par contre le devoir d'agir dignement en évitant de ternir l'image du Canada et du Québec et sans faire croire que leur opinion représente celle de l'ensemble des citoyens. Ils doivent jouer «fairplay». La monarchie constitutionnelle britannique n'est tout de même pas un régime totalitaire qui bafoue les droits humains les plus élémentaires. Au contraire. Le Prince William et sa jeune femme ne sont par ailleurs pas uniquement membres de la famille royale britannique. Le couple joue également le rôle d'ambassadeur de la Grande-Bretagne et de son peuple et, à ce titre, il mérite un accueil civilisé et chaleureux. William et Kate ont déjà appuyé plusieurs causes sociales et humanitaires, particulièrement celles qui touchent les jeunes. Leur célébrité et leur notoriété permettent aux organisations qui en profitent d'être l'objet d'une plus grande visibilité et générosité. Les organisations qu'ils visiteront au Canada, comme l'hôpital Sainte-Justine, en tireront profit. Les médias internationaux qui accompagnent en grand nombre le jeune couple jugeront sans doute sévèrement les comportements hostiles et cela ne fera que nuire à notre réputation.

Patrice Garant

Professeur émérite de droit public à l'Université Laval

MANIFESTER EN DEMEURANT COURTOIS

Au contraire, il faut profiter de l'occasion pour manifester contre la monarchie canadienne tout en étant courtois à l'endroit de ces gentils représentants de la couronne britannique. Pour le Canadien que je suis, la monarchie n'a plus aucun sens; c'est le vestige d'un passé dont nous nous sommes dégagés pour devenir sujets d'un État baignant dans une culture assez semblable à celle de nos voisins du Sud. La monarchie héréditaire est incompatible avec certaines valeurs de la Constitution canadienne. Dans son célèbre Renvoi de 1998, la Cour suprême a sonné le glas de la monarchie héréditaire en proclamant que la démocratie est l'un des «principes ont dicté des aspects majeurs de l'architecture même de la Constitution et en sont la force vitale» (par. 51). La démocratie «est une valeur fondamentale de notre culture juridique et politique» (par. 61). La démocratie «signifie le mode de fonctionnement d'un gouvernement représentatif et responsable et le droit des citoyens de participer au processus politique en tant qu'électeurs (...), et en tant que candidats (...)» (par. 65). «La démocratie exprime la volonté souveraine du peuple» (par. 66). En plus d'être antidémocratique, la monarchie héréditaire britannique viole une autre valeur essentielle de la Constitution canadienne, le principe d'égalité des sexes (art. 15 de la Charte). La succession au trône est réglée par des textes britanniques de 1689, 1701 et 1800 qui font partie la Constitution canadienne. Or, selon ces règles, l'ordre de succession est déterminé par la primogéniture masculine. Enfin, la monarchie britannique viole un autre principe de la Constitution canadienne, soit la séparation de l'Église et de l'État. En effet, selon les règles de succession au trône le monarque doit être de foi protestante et devient par son couronnement chef de l'Église anglicane.

Mélanie Dugré

Avocate

S'EXPRIMER AVEC JUGEMENT ET RESPECT

Nous avons le privilège de vivre dans un pays où la liberté d'expression constitue une valeur fondamentale. Ce droit est abondamment exercé par tout un chacun par différents modes d'expression, que ce soit la parole ou l'écrit, incluant les tribunes téléphoniques, les blogues et les médias sociaux ou encore les manifestations publiques. Je crois que ce serait une erreur de tenter de museler les individus en les empêchant de s'exprimer et de manifester au nom du devoir de bien paraître aux yeux du reste du monde. Certains auraient espéré que la visite princière fasse l'unanimité et que le passage de William et Kate soit souligné dans la joie et l'allégresse. Mais ils soulèvent dans leur sillage une poussière de questions, notamment sur le coût de ce voyage en sol canadien et sur la pertinence de la monarchie, questions qui méritent d'être débattues. Cependant, je crois aussi que la liberté d'expression est un droit que plusieurs exercent les yeux fermés, anonymement et sans jugement. Une opinion peut très bien être tranchée, catégorique et virulente tout en étant exprimée avec respect et discernement. Ces qualités sont malheureusement trop souvent absentes des tribunes et des manifestations. En bref, ce n'est pas tant le propos lui-même qui est susceptible de nuire à l'image du Québec, mais la façon, parfois disgracieuse, dont il est exprimé.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

RESPECT, DIPLOMATIE ET INDIFFÉRENCE

Personnellement, la venue de Kate et William me laisse complètement indifférent. Je pense que la meilleure façon de s'opposer à une visite officielle, c'est de ne pas y participer. Toutefois, comme nous faisons partie d'un système monarchique, la famille royale britannique fait partie du cirque sous-jacent à celui-ci. Si nous voulons nous débarrasser de la monarchie, il faut revoir le système parlementaire canadien: veut-on aller jusqu'à fonder la République du Canada? Certains pourraient être pour celle-ci, mais le jeu en vaut-il réellement la chandelle? Une manifestation faite dans le respect doit demeurer un droit. Par contre, les rapports entre les nations sont teintés de rencontres pouvant sembler parfois inutiles, mais cela fait partie du coût de la diplomatie internationale. Ce que je dirais aux mouvements d'oppositions, c'est qu'il faut choisir ses batailles et qu'il y a peut-être des batailles plus urgentes à livrer que celle-ci. Devant le monde, veut-on exprimer notre opposition ou notre courtoisie envers les invités de notre pays?

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

ÉVITER L'ANACHRONISME

Ce n'est pas la légalité des manifestations contre William et Kate qu'on peut remettre en question. C'est leur pertinence. L'excitation militante d'une certaine frange radicale du mouvement indépendantiste qui exprime une réaction épidermique devant la visite princière a de quoi rendre perplexe. Évidemment, la couronne britannique n'est pas une figure positive dans l'histoire québécoise. Elle rappelle une Conquête que les Québécois n'ont pas à oublier. Mais c'est une chose d'avoir la mémoire de la Conquête, c'en est une autre de s'en croire contemporain. La conscience historique n'est pas l'exhibitionnisme mémoriel. Le Québec n'est plus en 1760. Il n'est pas non plus en 1960 quand les stigmates de la vieille domination coloniale étaient encore visibles à travers l'infériorité économique des Canadiens-français. Cinquante ans après la Révolution tranquille, la couronne britannique a surtout l'allure d'une vieille relique un peu déphasée qui cherche à redorer son blason en faisant le pari de sa modernisation publicitaire. Certes, ce sont deux figures royales qui viennent au Québec. Mais ce sont surtout deux peoples mondialisés qui appartiennent moins à l'univers de la tradition qu'à celui des gens «riches et célèbres». Pourquoi hurler? Devant la Grande-Bretagne et ses «têtes couronnées», ne serait-il pas mieux de pratiquer une saine indifférence? Les mauvais sentiments ne sont pas toujours à proscrire en politique. Mais fallait-il vraiment les canaliser vers ces deux représentants d'un monde qui n'est plus vraiment le nôtre? On ne gagne pas la bataille de demain en menant celle d'hier. Le combat souverainiste peut parfaitement s'affranchir de la rhétorique de l'anticolonialisme sans perdre en légitimité. À tout le moins, espérons que les protestataires ne se déroberont pas aux exigences élémentaires de la civilité.

Francine Laplante

Femme d'affaires

LA PREUVE QU'IL EXISTE DEUX CLASSES DE SOCIÉTÉ

Il est plus que primordial de pouvoir exprimer publiquement notre opinion. Cependant, tout doit être fait dans le respect. À mon avis, s'abstenir de manifester pour éviter de nuire à l'image du Québec, c'est faire preuve de beaucoup d'hypocrisie. Un peuple fier est un peuple qui s'assume pleinement. Même si parfois nous avons l'impression que l'opinion de monsieur et madame Tout-le-monde ne pèse pas trop lourd dans la balance décisionnelle, il faut toujours garder en mémoire que ce sont ces mêmes monsieur et madame Tout-le-monde qui élisent tous les quatre ans les gouvernements qui nous dirigent. Nous travaillons jour après jour à essayer de bâtir une société dans laquelle tout le monde est égal en droits; la visite du prince et de la princesse nous démontre bien que nous sommes loin de cet objectif de valeur. Elle nous prouve au contraire qu'il existe encore deux classes de société.  Comment expliquer à ceux qui, malgré des semaines de travail de 40 heures, ont toute la misère du monde à manger trois repas par jour, à payer leur loyer et à habiller leurs enfants que nous devons payer, à même nos chèques de paie, un voyage de rêve à deux multimillionnaires qui ont eu la chance de naître dans la bonne famille? N'en déplaise à ces majestés, c'est ma royale opinion!

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique

LA LIBERTÉ D'EXPRESSION S'ACCOMPAGNE DE CELLE DE MANIFESTER

Je l'avoue, je n'ai aucune affinité avec le Réseau de résistance du Québécois, par contre, comme le disait Thomas Paine: «Celui qui veut conserver sa liberté doit protéger même ses ennemis de l'oppression; car s'il ne s'y astreint pas il créera ainsi un précédent qui l'atteindra un jour». Aussi, je considère inutile de refaire l'historique de la liberté d'opinion. Nous devrions tous connaître nos droits fondamentaux et les défendre bec et ongles. Je me contenterai seulement de rappeler que la liberté d'expression s'accompagne de celle de manifester ses opinions dans respect de l'ordre public, et ce, même si elles sont contraires à celle de la majorité. En aucun cas, ces droits ne devraient être diminués. Surtout pas au nom de la sauvegarde d'une soi-disant image. Au contraire, l'image d'un Québec libre et démocratique serait ternie à jamais s'il fallait interdire cette manifestation du Réseau de résistance du Québécois. Par contre, j'aimerais exprimer une opinion toute personnelle: ces militants devraient trouver quelque chose d'utile à faire de leurs 10 doigts - aller couper de la cane à sucre pour les pauvres à Cuba, par exemple.

François Bonnardel

Député pour l'ADQ dans Shefford

UNE QUESTION DE RESPECT

La liberté d'expression exige que tous aient le droit de manifester, même ceux qui ne pensent pas comme vous. Cependant, le respect, qui est une valeur tout aussi fondamentale, exige qu'une manifestation soit pacifique et s'exerce dans l'ordre. Les gens qui manifesteront leur opposition à la monarchie en fin de semaine, s'ils ne veulent pas nuire à l'image du Québec, doivent donc le faire de manière pacifique. Le débat sur la pertinence de la monarchie anime plusieurs sociétés dans le monde, notamment dans les pays du Commonwealth. En Australie, par exemple, la monarchie est passée bien près d'être abolie lors d'un référendum en 1999, après plusieurs années de débats. Au Québec, nous avons une relation particulière avec l'Angleterre, pour des raisons historiques. Mais cette réalité ne nous dispense pas de la nécessité qui incombe à tous les peuples d'exercer leurs opinions dans le respect d'autrui. Que nous soyons favorables ou pas à la couronne britannique, il est impératif que le débat ordonné ne cède pas sa place à l'émotivité et aux affrontements.

Jana Havrankova

Endocrinologue

UN COUPLE EN VOYAGE DE NOCES

Même si je trouve vaine toute cette agitation autour du mariage et du voyage de noces du couple princier, même si j'espère qu'un jour pas trop lointain le Canada s'affranchira de la monarchie britannique, je souhaite aux jeunes mariés un séjour agréable au Canada. Comme je le souhaiterais à n'importe quel touriste. Que le Canada soit obligé de veiller sur la sécurité du couple est ennuyeux; cet argent aurait sans doute pu trouver un meilleur usage. Toutefois, le gouvernement n'a pas vraiment le choix. Si jamais un cinglé s'avisait de s'en prendre aux nouveaux mariés, le Canada subirait un incident diplomatique majeur, en plus de projeter une image non justifiée d'un pays peu sûr pour les visiteurs. Que les protestataires brandissent leurs pancartes en exigeant les discussions pour rompre la soumission surannée du Canada à la monarchie britannique est défendable, quoique futile dans les circonstances. Qu'ils puissent prôner l'indépendance du Québec pour, entre autres, se débarrasser de la royauté témoigne de la tolérance de la société canadienne et québécoise quant aux opinions divergentes. Par contre, que les manifestants insultent ou menacent les jeunes mariés ou encore perturbent leur voyage serait totalement inapproprié. Espérons que les bonnes manières prévalent.