Le verdict de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux rendu par le jury au procès de Guy Turcotte a suscité l'indignation générale. À votre avis, ce verdict révèle-t-il une faille dans notre système de justice? Avez-vous confiance que ce système, de façon générale, punit assez sévèrement les criminels?

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Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

UN JURY CONSCIENCIEUX

Guy Turcotte, au terme d'un procès hautement médiatisé, a été déclaré criminellement non responsable du meurtre de ses deux enfants. Il est certain que la décision du jury crée des insatisfactions chez les uns et de la rage chez les autres et, sans doute aussi, un certain soulagement pour certains de ses proches. Tout au long, ce procès, qui aura duré trois mois, aura fait ressortir nos émotions les plus enfouies et parfois même conflictuelles. Personne ne pouvait demeurer insensible au fait qu'un père mette un terme de façon aussi dramatique à la vie de ses enfants. Isabelle Gaston l'a souligné avec justesse au sortir de la salle d'audience: «Les adultes n'ont pas de droit de vie ou de mort sur les enfants.» Les femmes et les hommes qui composaient le jury ont eu à en juger. Ces femmes et ces hommes qui ont dû rendre le verdict ont été soumis, tout au long du procès, à une pression énorme. Ils ont probablement ressenti les émotions que tout parent, tout adulte, vit dans ces moments. Ils ont dû cependant faire la part des choses. Ils savaient aussi que, peu importe le verdict qu'ils rendraient, il s'en trouverait pour les critiquer au sein de la société. Comme tous ceux qui ont été touchés par ce procès, ce drame ne les quittera jamais. Mais les membres du jury ont su s'élever au-dessus de toutes ces considérations. Ils ont fait consciencieusement leur devoir, celui de rendre un verdict unanime.

Mélanie Dugré

Avocate

ENTRE LE COEUR ET LA RAISON

On pourra me reprocher de prêcher pour ma paroisse, mais oui, j'ai une foi profonde en notre justice. Notre système, sans être parfait, est impartial et équitable, tout en accordant une valeur prépondérante aux droits fondamentaux des individus, notamment la présomption d'innocence et le droit à un procès juste et équitable. Depuis le prononcé du verdict, mon esprit vogue entre le coeur et la raison. La mère que je suis est évidemment bouleversée, mais j'estime néanmoins qu'aussi pénible et douloureuse que soit cette démarche, il faut, à l'instar d'Isabelle Gaston, encaisser cette décision avec calme et retenue et tenter de l'analyser de façon rationnelle et cartésienne. Ce verdict n'a pas été rendu d'un coup de dés, mais bien à l'issue de plusieurs semaines d'audition et du témoignage de nombreux témoins et experts. De surcroît, le sort de Guy Turcotte a été scellé par 11 de ses concitoyens. Ces gens méritent notre respect et une certaine réserve devant la difficile tâche qu'ils ont accomplie et qui, sans aucun doute, les marquera à vie. La voix populaire a grondé sa colère et exprimé sa déception de ne pas voir Guy Turcotte être envoyé en prison sans possibilité de libération. Mais en enlevant brutalement et sauvagement la vie à ses enfants, Guy Turcotte a lui-même érigé les murs d'une cellule dont il ne sortira probablement jamais. Et c'est dans ce cachot qu'il vivra avec au coeur la douleur et la honte de l'irréparable.

Jana Havrankova

Endocrinologue

UN DANGEREUX PRÉCÉDENT

Ma première réaction au verdict était celle d'incrédulité, puis de stupéfaction. J'espère que le jury a bien réfléchi pendant les cinq jours qu'ont duré les délibérations avant de déclarer Guy Turcotte non criminellement responsable de l'assassinat de ses enfants. J'espère que ce verdict est le meilleur possible compte tenu des témoignages et des expertises. Je garde cependant mes doutes. Le jury a-t-il été suffisamment outillé pour analyser les évaluations psychiatriques? Il ne fait pas de doute que Guy Turcotte souffrait d'un problème mental grave: c'est pratiquement un prérequis pour assassiner ses enfants. Toutefois, ce trouble mental explique-t-il un geste d'une telle gravité, le rend-il non criminel? Au Québec, environ 50% des couples mariés finissent par se séparer. Heureusement, en général, ni le père ni la mère n'assassinent leurs enfants malgré le deuil, malgré une tristesse parfois accablante. Néanmoins, si leur rage et leur envie de vengeance devenaient assez violentes, ils peuvent espérer qu'un jury les excusera parce qu'ils souffrent de problèmes d'adaptation à la séparation, parce qu'ils sont sévèrement déprimés. Il me semble pertinent de porter ce jugement en appel, si ce n'était que pour rassurer la population de la justesse de ce verdict difficile à accepter.

Guy Ferland

Enseignant de philosophie au collège Lionel-Groulx

UNE POPULATION EN COLÈRE EST MAUVAISE CONSEILLÈRE

Le verdict de non-responsabilité criminelle rendu à l'endroit de Guy Turcotte soulève l'indignation populaire. Pourtant, la justice a suivi son cours. Onze personnes ont assisté aux plaidoyers de la Couronne et de la défense et elles sont parvenues à ce verdict unanime. Elles ont pu analyser la preuve présentée devant elles et en discuter le plus impartialement possible. Leur décision, aussi incroyable soit-elle, prouve qu'un jury de 11 citoyens peut encore rendre justice dans une société démocratique de droits. Nos réactions épidermiques compréhensibles de haine et de vengeance, vu le caractère odieux de l'acte commis, doivent faire place à la raison, si on veut continuer de vivre dans une société de droits et de libertés. Le système judiciaire est en effet notre seul rempart contre la barbarie et la vindicte populaire basées sur l'esprit de vengeance et la loi de la jungle. Laissons la poussière retomber sur le sol et recouvrir les plaies béantes laissées par le cardiologue. Cette décision prouve hors de tout doute que notre système judiciaire fonctionne indépendamment de la pression sociale. Ce qui est peut-être la seule bonne chose qui ressort de ce procès.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

SOCIÉTÉ DE DROIT

Après avoir encaissé le choc du verdict de non-responsabilité criminelle prononcé à l'égard de Guy Turcotte, j'ai tenté de chausser les souliers des membres du jury, qui n'ont certes pas eu la tâche facile. Je crois que, selon mes convictions, les faits entourant ce crime ne m'auraient pas permis de me rallier à cette décision unanime. S'il n'en tenait qu'à moi, ce procès aurait probablement avorté, faute d'unanimité. Cela dit, je crois que notre système de justice, tel qu'il est, en est un de droit et non pas de justice et d'égalité. Je ne blâme aucunement les 11 citoyens pour ce verdict qui n'a pas fini de faire des vagues. L'accusé s'est payé l'un des meilleurs avocats et plaideurs du Québec. Il avait aussi les moyens financiers de convoquer à fort prix de bons experts en psychiatrie qui ont, sans doute, fait peser la balance de la justice en la faveur du principal intéressé. S'il est vrai, comme le prétend l'institution, que la justice est égale pour tous, croyez-vous vraiment que le travailleur d'usine ou le vendeur aurait obtenu le même verdict? Les maîtres Poupart et les meilleurs experts médicaux de ce monde auraient-il défendu et parlé en faveur du citoyen «ordinaire»? Permettez-moi d'en douter.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage Inc, il a été président-directeur de la SAQ et de Loto-Québec

LA LIGNE ÉTAIT MINCE

La justice se doit d'être administrée avec la raison et non avec l'émotion. Dans ce contexte, il est très difficile, sinon impossible, pour toute personne qui n'a pas assisté au procès ou qui n'a pas écouté tous les témoignages, de porter un jugement sur notre système judiciaire. Ce que je retiens le plus du verdict de non-responsabilité criminelle pour troubles mentaux, c'est le fait que ledit verdict a été rendu à l'unanimité par un jury composé de 11 personnes. Ces personnes ont assisté pendant des semaines à toutes les séances du procès et ont délibéré pendant plusieurs jours avant de rendre leur décision. Il faut noter aussi que c'est le juge qui a clairement avisé les membres du jury que l'option de la non-responsabilité criminelle était une des quatre options à considérer. Dès lors, tout devenait une question de jugement, la ligne entre les quatre options étant de toute évidence très mince. Je suis indigné un peu comme tout le monde, mais je me dis que, peut-être, c'était le bon verdict à rendre. Il y a certes des failles dans notre système de justice, mais le verdict en question n'en est pas une.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique

DEUX ENFANTS MORTS PAR ACCIDENT?

Onze jurés ont jugé à l'unanimité que Guy Turcotte n'était pas responsable de la mort de ses enfants. Mais qui en est donc responsable? Loin de moi l'idée de remettre en cause le travail de la justice dans cette affaire. Au contraire, tout indique que le juge et les jurés ont fait leur travail consciencieusement. Ce qui m'interpelle, en tant que citoyen, c'est l'idée qu'au bout du compte, deux enfants sont morts et que ce n'est la faute de personne. Si Guy Turcotte avait été jugé sain d'esprit au moment de son crime, sa responsabilité n'aurait fait aucun doute et il aurait été condamné à perpétuité. On a plutôt jugé que son geste avait été commis dans un moment de démence et, qu'en conséquence, il n'était pas responsable de ses actes. Au lendemain de ce verdict, je me pose plusieurs questions. La responsabilité d'un individu est-elle exclusivement une question de santé mentale? Le rôle de la justice se limite-t-il à déterminer, avec l'aide de psychiatres, si oui ou non le meurtrier était sain d'esprit au moment de poser son geste? Une personne ne peut-elle qu'être responsable ou irresponsable de ses actes? N'y aurait-il pas de place pour une responsabilité partielle? Je ne suis pas outré par ce jugement, il me rend seulement inconfortable. Comme beaucoup de citoyens, j'ai de la difficulté à admettre que deux enfants aient été poignardés à mort par accident.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

VERDICT UNANIME

Comme la majorité des citoyens, je n'étais pas présent au procès. Donc, si 11 citoyens ont déterminé de façon unanime que l'accusé devait être déclaré non criminellement responsable, je me fis à leur jugement. Ainsi, oui j'ai confiance en notre système de justice sur la base que des citoyens, après plusieurs jours de délibération, en sont venus à cette conclusion. Le meurtre d'enfants, par un parent en détresse psychologique, demeurera toujours un sujet sensible et incompréhensible. Ni les mots ni le temps n'effaceront les blessures des proches. Le seul fait de vivre avec les conséquences de ses actes est la véritable sentence de l'accusé.