À la suite du verdict rendu par 11 jurés dans l'affaire Turcotte, certains remettent en question les procès devant jury. Les jurés, estiment-ils, n'ont pas la formation juridique nécessaire pour trancher dans des causes aussi complexes que celle-là. Qu'en pensez-vous? Vaudrait-il mieux que tous les procès criminels se fassent devant un juge seul?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS

Jean-Claude Hébert

Avocat

JURIDIQUEMENT IMPOSSIBLE

Supprimer le droit au procès par jury est juridiquement impossible. Pour ce faire, il faudrait amender la Constitution du pays. En effet, le droit au procès par jury (pour quiconque risque une peine de cinq ans ou plus) est constitutionnellement garanti. Personne ne veut envisager le renouvellement de la Constitution. Par ailleurs, plusieurs raisons militent en faveur du procès par jury, peu importe la nature des questions factuelles liées à l'accusation. Comment peut-on logiquement soutenir qu'une personne seule (un juge) est plus intelligente et raisonnable que 12 personnes qui ont l'avantage de discuter entre elles et de mesurer le bien-fondé de leurs arguments. Les jurés bénéficient de l'avantage de la sagesse collective. Puisque le verdict doit être unanime, il est plus difficile pour 12 personnes de se tromper. Autrement dit, une seule personne (le juge) peut plus facilement s'égarer ou être influencée par les pressions de l'opinion publique. Enfin, le jury tranche, rend jugement sur des questions de fait, en prenant appui sur le bon sens et l'expérience de vie des 12 citoyens qui le composent. Une fois que le juge qui préside le procès a expliqué les règles du débat, l'analyse de la preuve n'exige aucune connaissance particulière. Au besoin, des experts viennent éclairer le tribunal. Bref, la logique du procès par jury fait en sorte que le juge est l'arbitre des questions de droit et les jurés sont les seuls juges des questions de fait. Dans l'affaire Turcotte, la décision finale portait sur des faits. À cet égard, l'opinion du juge (que nous ignorons) n'était sûrement pas meilleure que celle des jurés, du seul fait qu'il connait la science juridique. L'appréciation du comportement humain ne peut être réduite à une simple affaire de plomberie juridique.

Mélanie Dugré

Avocate

JETER LE BÉBÉ AVEC L'EAU DU BAIN

Les procès devant jury conservent, à mon avis, toute leur pertinence et leur utilité. Il est fondamental de comprendre que, dans ce type de procès, un juge demeure aux commandes pour s'assurer de la bonne marche du processus judiciaire et du respect de la loi; il est le maître du droit. Le  rôle des jurés consiste à apprécier la preuve factuelle qui leur est soumise; ils sont les maîtres des faits. Ces citoyens, dont la présence au sein du jury a été approuvée tant par la Couronne que par la défense, sont aptes et compétents à juger un de leurs pairs avec le soutien et l'encadrement du juge. Tout au long du procès Turcotte, les médias ne nous ont offert que des résumés de la preuve présentée en cours. Mais les esprits se sont échauffés dans les chaumières où tout un chacun, sans disposer de l'intégralité des faits et des témoignages soumis au jury, se sont imposés juges et jurés de ce drame alors que ces rôles ne leur appartenaient pas. Être révolté d'un verdict qu'on ne comprend pas est une chose. Remettre en question tout un système de justice au nom de cette indignation en est une autre. Je pense qu'un peu de recul s'impose maintenant et qu'il faut se garder de jeter le bébé avec l'eau du bain.

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

L'ÉMOTIVITÉ EST MAUVAISE CONSEILLÈRE

Il est vrai que les jurés n'ont pas nécessairement de formation juridique. Il n'en demeure pas moins qu'ils sont les dignes représentants de tous leurs concitoyens et, à cet égard, on se doit de leur vouer le plus grand respect. La tâche de rendre une décision n'est jamais facile, notamment lorsque l'émotivité devient une pièce maîtresse d'un procès. Les Québécois sont émotifs et, en cela, ils reflètent bien leur caractère latin. Nous ne devons pas perdre de vue que les jurés doivent rendre des décisions unanimes et qu'ils sont 12 pour le faire. Les avocats de la défense s'esquintent pour créer le doute raisonnable et ce doute et son appréciation orientent juges et jurés dans les décisions qui sont rendues. Par ailleurs, dans notre analyse de la situation, nous devons nous demander comment auraient réagi les Québécois si le juge Marc David avait rendu la même décision que les jurés dans le procès de M. Turcotte. Les jurés ont rendu leur décision à partir des faits qui ont été démontrés. Je suis d'avis que les procès criminels devant jury sont plus pertinents que jamais et doivent demeurer. Ces hommes et ces femmes sont le miroir de notre société. Juger un citoyen exige réflexion et, à cet égard, l'émotivité est bien mauvaise conseillère.

Raymond Gravel

Prêtre, diocèse de Joliette

LA JUSTICE...

Un procès devant jury, dirigé par un juge impartial, favorise une meilleure justice et devient inattaquable. Dans l'affaire Turcotte, nous avons l'illustration d'un jugement équilibré, rendu par des femmes et des hommes responsables, sous la direction d'un juge dont la compétence est manifeste. Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas. Dans l'affaire Parasiris, où un policier de Laval a été tué lors d'une perquisition à domicile, le juge avait fait preuve de partialité et il avait mal orienté les jurés; de sorte que l'acquittement du présumé vendeur de drogue, armé illégalement, s'en est tiré injustement, parce que les membres du jury n'avaient pas accès à toute l'information le concernant. Le procès Turcotte, le plus médiatisé de l'histoire, nous a permis de réfléchir non seulement sur l'horreur d'un crime perpétré contre des enfants innocents, mais aussi sur la détresse psychologique d'un homme, père de famille, médecin par surcroît, qui a posé un geste épouvantable, difficile à comprendre, mais dont la responsabilité criminelle n'a pas été retenue par le jury. Cette décision a été longuement réfléchie; elle ne relativise pas la gravité du crime, ni non plus la culpabilité de son auteur. Au contraire, ce verdict nous oblige à nous conscientiser sur la violence faite aux femmes et aux enfants, et à nous responsabiliser, afin d'éviter d'autres drames semblables. Un procès devant jury reflète davantage notre société québécoise qui mise beaucoup plus sur la réhabilitation que sur la punition. Finissons-en avec la condamnation qui ne rend aucunement justice aux victimes et qui ne fait qu'assouvir notre soif de vengeance.

Guy Ferland

Enseignant de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

LE DEVOIR DES CITOYENS ET LEUR SENS DES RESPONSABILITÉS

Devrait-on légiférer afin que tous les procès criminels se déroulent devant un juge au lieu de les confier parfois à un jury formé de citoyens ordinaires? Cette question met en lumière le malaise profond de la population à la suite du verdict à l'endroit de Guy Trucotte. Et si les jurés avaient erré? Ils ne sont pas des spécialistes de la psychologie humaine et ils n'ont pas la formation juridique nécessaire pour trancher dans des causes aussi complexes que celle-là. Pourtant, il est de notre devoir moral et civil de croire en la capacité de juger de causes criminelles d'autres citoyens ordinaires qui forment notre société. Dans une société de droits et libertés comme la nôtre, un procès juste et équitable devrait se dérouler le plus souvent devant un jury de femmes et d'hommes représentatifs de la population. Comme le disait Clémenceau à propos de la guerre et des militaires, le système judiciaire est une chose trop grave pour le maintien de l'ordre social pour n'être confié qu'à des avocats et à des juges. Le verdict dans le cas du cardiologue montre hors de tout doute le sens des responsabilités de simples citoyens lorsque vient le temps de juger une affaire complexe au-delà de la spontanéité des sentiments.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique

LA PARTICIPATION CITOYENNE N'EST PAS QU'UN CAPRICE DÉMOCRATIQUE

Je comprends que l'affaire Turcotte puisse soulever les passions, mais ne serait-il pas préférable de laisser retomber la poussière avant de réformer notre système de justice? Au Canada, la plupart des procès sont entendus devant des juges exclusivement. Ce ne sont que les personnes accusées d'une infraction criminelle qui ont le droit d'être jugées par un jury de citoyens. Désire-t-on vraiment que la justice devienne exclusivement une affaire de spécialistes triés sur le volet? Notre justice n'est-elle pas déjà un «business» de juges, d'avocats et de témoins experts? La participation citoyenne n'est pas qu'un caprice démocratique, c'est aussi une façon de rapprocher le peuple de sa justice. Or, malgré ce que certains laissent entendre, les jurés n'ont pas autant de latitude qu'on pourrait le croire. Outre le fait qu'ils sont sélectionnés par les parties en cause, ils doivent suivre les instructions du juge, ne tenir compte que des éléments de preuve qui leur sont présentés au tribunal et rendre une décision unanime. Avant de décréter que tous les procès criminels devraient se tenir devant un juge seul, il faudrait peut-être se rappeler qu'il y a quelques mois à peine, on voguait en pleine commission Bastarache. On se calme?

Louis Bernard

Consultant

UN CAS NE FAIT PAS LE SYSTÈME

On ne peut pas juger de la valeur d'un système de justice à partir d'un cas particulier. Car il n'existe malheureusement pas de système infaillible. Tout système, quel qu'il soit, est susceptible de produire des erreurs et, en conséquence, on ne peut juger de sa valeur qu'en prenant en compte l'ensemble de ses résultats. Or l'expérience a prouvé qu'en matière civile, le procès devant un juge seul donne généralement de meilleurs résultats, alors qu'en matière criminelle, du moins pour les crimes les plus graves, c'est le contraire. Le jury, assisté par un juge, rend une meilleure justice, plus proche en général de ce que pense la population. Dans le cas de Guy Turcotte, qu'est-ce qui prouve que le jugement du juge, s'il avait été seul, aurait été différent de celui du jury? En l'occurrence, la question décisive ne portait pas sur le droit, mais sur les faits: est-ce qu'au moment crucial, M. Turcotte était suffisamment en état de savoir ce qu'il faisait pour être tenu criminellement responsable de ses gestes? À mon sens, le jugement unanime de 11 jurés, sur une matière comme celle-là, vaut mieux que celui d'une seule personne, fut-elle juge. Même s'il y avait eu erreur - ce qui est loin d'être prouvé - cela ne devrait pas nous inciter à mettre de côté un système qui a fait ses preuves et qui s'est révélé, à l'expérience, supérieur à tous les autres.

François Bonnardel

Député pour l'ADQ dans Shefford

LE JURY N'EST PAS LE PROBLÈME

Un jury, constitué de 11 citoyens, devait se prononcer cette semaine sur la responsabilité de l'accusé dans l'affaire Guy Turcotte. Ce genre de processus délibératif évite que le sort d'une personne poursuivie pour un crime considérable ne relève que du jugement d'une seule personne. Tout en respectant le travail des jurys, plusieurs personnes regardent le résultat aujourd'hui et constatent qu'un verdict comme celui-ci nous laisse sur notre faim et pousse les observateurs à se questionner quant aux valeurs soutenues par le système juridique canadien. Il serait faux de prétendre que le manque de connaissances de ces citoyens en matière de droit serait la cause directe du jugement rendu (non-criminellement responsable). Nous devrions plutôt réviser les limites de l'article 16 du Code criminel prévoyant une défense distincte pour les accusés souffrant de troubles mentaux. C'est en vertu de ce principe qu'un avocat bien avisé travaillera uniquement a établir la preuve de l'invalidité d'un accusé. De toute façon, un groupe constitué de juges et d'avocats d'expérience n'en serait probablement pas arrivé à une autre réponse.

Patrice Garant

Professeur émérite de droit public à l'Université Laval

ON NE S'IMPROVISE PAS JUGE

J'ai toujours été réfractaire aux procès par jury, tant en matière civile qu'administrative ou pénale, non pas parce qu'il n'est pas noble que d'être jugé par ses pairs ou par ce que ceux-ci n'ont pas de formation en droit, mais parce qu'être juge, c'est un métier difficile qui exige des aptitudes, une formation et des connaissances juridiques et autres qui ne sont pas le lot du commun des mortels. J'observe le fonctionnement de la justice, le comportement des juges, j'étudie leur jurisprudence depuis 50 ans; j'ai aussi présidé des tribunaux administratifs.  Dans de nombreux pays, et récemment chez nous, on insiste beaucoup sur la formation et la sélection des magistrats. D'ailleurs, l'exigence de 10  ans de pratique de la profession d'avocat ou encore une expérience jugée pertinente (tribunaux administratifs) sont l'indication qu'on ne s'improvise pas juge. Le jury est maître des faits, ce qui implique qu'il doit apprécier la preuve et surtout la crédibilité des témoins. La connaissance des règles de preuve, mais aussi celle des notions difficiles du droit criminel, telles la présomption d'innocence, la preuve hors de tout doute raisonnable, la différence entre le meurtre au premier degré, l'homicide involontaire coupable, la négligence criminelle, et tous les autres actes criminels jugés devant juge et jury. Il faut aussi être au fait de l'habilité des plaideurs et des effets de toge... Tout cela exige une fréquentation de cette discipline que ne remplace pas le gros bon sens ou l'expérience de la vie du plus honnête et motivé des jurés.

Francine Laplante

Femme d'affaires

LES LARGESSES DE NOTRE SYSTÈME PÉNAL

Je ne crois pas que nous devons remettre en question les procès devant jury. Dans le cas Turcotte, comment pouvons-nous douter que 11 personnes différentes aient pu se tromper dans l'interprétation des lois et des processus juridiques? Cependant, là où je pense que nous avons un problème, c'est lorsque l'on apprend que certaines données, comme les lettres écrites par l'accusé après le meurtre sont cachées aux jurés. Là où je pense que nous avons un problème, c'est également sur le fait que le jury ait eu le choix de le déclarer criminellement non-responsable du meurtre de ses deux enfants... Je persiste à dire que Guy Turcotte est un criminel, un criminel malade j'en conviens, mais un criminel qui aurait dû payer pour les meurtres crapuleux qu'il a commis. Ce ne sont pas les procès devant jury que nous devons remettre en question, mais les peines et les conséquences que nous devons infliger à ces meurtriers. Dans le cas d'Olivier et d'Anne-Sophie, justice n'a pas été rendue et, à mon avis, ce n'est pas la faute du jury, mais de notre système pénal et de ses largesses.

Marc Simard

Professeur d'histoire au Collège François-Xavier-Garneau (Québec)

LA MANIPULATION DES JURÉS

Les réactions à la décision des jurés dans l'affaire Turcotte vont de l'indignation à la célébration de leur «courage». Pourtant, la clé du verdict réside dans la sélection et la manipulation du jury par les avocats de la défense, qui l'ont littéralement hypnotisé. Dans ce procès, la tâche de la défense consistait à la fois à faire ressortir le contraste entre le geste de l'accusé, d'une horreur sans nom, avec la personne du prévenu, médecin irréprochable et bon père de famille.  L'élément central de cette stratégie reposait d'abord et avant tout sur la sélection des jurés. Aux États-Unis, depuis quelques années déjà, les avocats embauchent des spécialistes pour les assister dans cette étape cruciale. L'objectif de la défense dans ce cas-ci était d'obtenir une majorité d'individus qui croient qu'un être humain «normal» ne peut pas commettre un acte aussi répugnant. Et qui sont imprégnés du sens moral de leur devoir de rendre justice. Le travail de la défense consistait par la suite à renforcer les jurés dans leur préconception surréaliste qu'un être humain en pleine possession de ses facultés ne pouvait pas avoir perpétré de tels gestes. La mentalité particulière des Québécois, généralement atteints de rousseauisme aigu, facilitait sa tâche. De même que la probable méconnaissance par les jurés de l'histoire récente du genre humain, entre autres des innombrables guerres et massacres qui ont ensanglanté le dernier siècle. Et une vision fleur bleue de la nature humaine entretenue par la psycho-pop et l'ensemble des médias. La profession et le rang social de l'accusé constituaient des atouts supplémentaires. En dépit des belles âmes qui affirment que nous ne devrions pas nous inquiéter de ce que ce jugement fasse jurisprudence parce que ce serait un cas d'espèce, je soutiens qu'il constitue au contraire un grave précédent parce qu'il repose sur une recette.