Le gouvernement Charest souhaite réduire de 54 000 à 50 000 le nombre d'immigrants reçus au Québec chaque année. Au contraire, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain propose que le Québec en accueille davantage, jusqu'à 65 000, afin de répondre aux besoins de main-d'oeuvre et de contrecarrer le vieillissement de la population. Augmenter ou réduire, quelle politique devrait-on prôner?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal

AU-DELÀ DES CHIFFRES

J'ai toujours eu un malaise avec ma condition de Québécois né en cette terre. Malaise d'être né ici, plutôt qu'ailleurs. Je me demande souvent comment je considérerais les Nord-Américains si je me trouvais dans un pays en manque de ressources ou en conflit. Je nous trouve souvent insouciants et inconscients de notre chance. Ainsi, je trouve très difficile de ne pas accueillir autant d'immigrants que nous en sommes capables. Quel est ce nombre? Pour qui me prendrais-je d'en avancer un? Je suis de ceux qui croient en une certaine forme de multiculturalisme intégré, quitte à me faire vilipender par tous les sociologues du monde. Y croire ne veut pas dire que la tâche est facilement réalisable. Évidemment, il y a des règles et une culture dominante que l'on souhaite préserver. Toutefois, il faut arrêter de faire la sourde d'oreille. Oui, nous sommes une société accueillante, mais la tâche est difficile pour les premiers arrivants. Nos institutions financières leur demandent d'avoir un historique de crédit au Canada: pas facile quand ça fait deux semaines que tu es débarqué ici. Les employeurs demandent des diplômes canadiens: pas facile lorsque tu as étudié toute ta vie à l'étranger. En entrevue, on vous demande: «avez-vous de l'expérience de travail ici?» Nous voulons que les immigrants s'intègrent à notre culture? Ça ne se fera pas en claquant des doigts. Ainsi, voilà le vrai débat: outre les belles promesses, combien d'immigrants sommes-nous collectivement et personnellement prêts à accueillir, à aider et à intégrer? Je me dis souvent que si j'étais envoyé dans un pays dont je ne connais pas la langue, la culture et la réalité, je ne survivrais pas deux semaines. Au-delà du nombre, il y a la réalité. Il n'en tient qu'à nous que celle-ci soit à l'image de nos aspirations.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

NÉCESSAIRE POUR SOUTENIR LA CROISSANCE

L'immigration fait toujours peur, à tort ou à raison. En fait, un grand nombre de personnes ont cette impression que les immigrants viennent voler nos jobs et, par voie de conséquence, nous font perdre notre identité. Mais l'immigration est nécessaire pour toutes sortes de raisons, dont le vieillissement de notre population et le manque de travailleurs spécialisés. Je ne sais pas pourquoi le gouvernement Charest souhaite réduire de 54 000 à 50 000 le nombre d'immigrants reçus au Québec chaque année. J'espère que ce n'est pas pour des raisons purement politiques, car ça me semble plutôt ridicule dans le contexte actuel. Donc, je donne raison à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain qui propose d'en accueillir jusqu'à 65 000 annuellement. L'avantage des immigrants tient aussi au fait qu'on peut les choisir selon nos besoins. On peut faire un tri qu'on ne peut évidemment pas faire avec les Québécois et Québécoises «de souche». Il ne faut pas oublier qu'avec un nombre de naissances en diminution constante, malgré certains soubresauts récents, l'accroissement naturel de notre population ne peut tout simplement pas suffire à soutenir une croissance économique nécessaire au maintien de notre niveau de vie.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP à Québec

VENDRE LE DROIT D'IMMIGRER

Nul doute que l'immigration peut être bénéfique pour le Québec. Mais toute immigration n'est pas forcément bonne. Pour profiter de l'immigration, il faut attirer des populations qui contribueront à notre économie. Dans cette perspective, l'économiste Gary Becker (Nobel d'économie 1992) propose de vendre le droit d'immigrer. La tarification du droit d'immigrer attirerait des populations d'immigrants jeunes, ambitieux, travailleurs et en santé. Puisqu'ils devraient amortir le coût de leur investissement, les nouveaux arrivants devraient disposer d'une formation ou de qualifications compatibles avec notre marché de l'emploi. Pour améliorer leurs chances de réussite, ils seraient motivés à apprendre notre langue, à adopter nos valeurs et à devenir des citoyens actifs et bien informés. Évidemment, pour attirer ce type de nouveaux arrivants, il faudrait cesser de se donner bonne conscience avec l'aide sociale et faciliter l'accès des nouveaux arrivants à notre marché du travail. On pourrait commencer par lever toutes ces barrières qui font que des immigrants bardés de diplômes doivent occuper des postes sans rapport avec leurs qualifications et leurs compétences. La vente du droit d'immigrer aurait aussi l'avantage de circonscrire le discrétionnaire bureaucratique et politique dans le choix du nombre et de la composition des nouveaux venus.

Françoise Bertrand

PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec

LA LANGUE N'EST PAS PRIORITAIRE

La question fondamentale n'est pas d'augmenter ou de réduire l'immigration au Québec, mais bien de la moduler en fonction des besoins des entreprises. Nous croyons que les 50 000 immigrants acceptés actuellement réussissent très bien à s'adapter aux conditions du Québec. La politique d'accueil des immigrants devrait être davantage orientée de manière à contrer les pénuries de main-d'oeuvre déjà bien présentes au Québec. Avant de penser uniquement à la langue, il faudrait regarder les compétences professionnelles des gens. Tout le monde le sait, plusieurs domaines connaissent déjà des pénuries et la situation n'ira pas en s'améliorant au fil des ans. La question de la langue ne devrait pas être prioritaire dans le choix des personnes qui immigreront ici. Ces nouveaux arrivants devront bien entendu apprendre le français pour être en mesure d'accéder au milieu du travail. L'immigration, bien que ce ne soit pas sa seule finalité, contribue à élargir et à diversifier le bassin de main-d'oeuvre et l'éventail des compétences susceptibles de participer activement au développement économique, social et culturel du Québec. Grâce à cet apport, c'est le Québec tout entier qui en sortira gagnant.

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

ACCUEILLIR SELON NOTRE CAPACITÉ

Vouloir répondre aux besoins qu'entraîne la pénurie de main-d'oeuvre au Québec est un objectif plus que louable. Par ailleurs, devrions-nous, pour ce faire, accueillir 50 000, 60 000 ou 70 000 immigrants? C'est une question qui a son importance par les temps qui courent. Il faut se demander si nous avons la capacité d'accueillir autant d'immigrants. Nous sommes présentement confrontés à une économie globale précaire et à l'aube d'une récession mondiale. Nous avons au Québec, un taux de chômage qui varie entre 7% et 8% et nous avons la responsabilité de nous assurer que les immigrants qui seront accueillis en sol québécois pourront travailler dans des secteurs prioritaires et ciblés à l'avance. Nous avons aussi le devoir de nous assurer que les immigrants qui auront choisi le Québec comme terre d'accueil le seront conformément à une politique d'intégration qui alliera rigueur et souplesse. Le Québec offre de nombreux services à sa population et nous avons une dette qui ne nous permet pas beaucoup de faux pas. Pour pouvoir maintenir, à son niveau actuel, le panier de services dont bénéficient les Québécois, nous nous devons d'être productifs, voire d'augmenter cette productivité. Si l'immigration nous permet de le faire, alors le nombre importe peu. Dans le cas contraire, il est tout à fait justifié d'en réduire le nombre. C'est notre capacité à les accueillir qui en sera l'élément régulateur.