Le rapport de l'Unité anticollusion est troublant: les malversations dans l'industrie de la construction ont pris une telle ampleur que le Québec risque une «prise de contrôle de certaines fonctions de l'État» par des acteurs mal intentionnés. Face à ce système corrompu, infiltré massivement par le crime organisé, que devrait faire le gouvernement Charest pour tenter de le briser?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

M. CHAREST, SOYEZ UN HOMME D'ÉTAT

La farce a assez duré. Jusqu'à maintenant, Jean Charest a agi en politicien dans ce dossier. Il sait trop bien ce qui est arrivé à Paul Martin quand ce dernier a lancé une enquête sur les commandites. Je peux comprendre qu'il ne veuille pas que la même chose lui arrive, mais on a maintenant dépassé l'étape de mettre continuellement des diachylons sur le problème, l'étape de dire «Laissons la police faire son travail». Ça prend une opération à coeur ouvert, c'est-à-dire une vraie enquête sur toute l'industrie de la construction. Pour ce faire, Jean Charest se doit maintenant de mettre son chapeau d'homme d'État et de prendre le risque que, peut-être, ça lui coûtera le pouvoir. Il n'a tout simplement pas d'autre choix devant l'ampleur que toute cette affaire a prise. Il n'y a qu'une conclusion qui s'impose : le système est corrompu et infiltré massivement par le crime organisé, et ce n'est pas une suite d'enquêtes policières qui va régler le problème fondamental. L'an dernier, les politiciens de tout acabit sont montés dans les rideaux lorsque le magazine Maclean's a sorti son reportage comme quoi le Québec était la province la plus corrompue au Canada. Eh bien, en apparence du moins, la situation semble pire que ce qui était rapporté par ce magazine. Alors, M. Charest, mettez votre chapeau d'homme d'État et instituez une enquête globale sur l'industrie de la construction. Vous perdrez peut-être les prochaines élections, mais l'histoire retiendra que vous avez su prendre la seule décision qui s'imposait dans les circonstances.

Gaétan Frigon

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec

UNE ILLUSION

Pour ou contre  une commission d'enquête sur le milieu de la construction? Le débat est relancé. Plusieurs s'imaginent qu'il suffit de faire une enquête publique pour éradiquer les pratiques de collusion entre l'industrie privée, des fonctionnaires et des politiciens. Désolé, mais la commission d'enquête n'est qu'une illusion! Comme je l'écrivais il y a près de deux ans, notre plus grande erreur serait de considérer ces scandales comme des incidents passagers. N'y voir qu'un dysfonctionnement moral affligeant une poignée d'individus. Croire que lorsque les pommes pourries auront été démasquées nous pourrons recouvrer notre « monde parfait » et bénéficier à nouveau de la supériorité morale de nos politiciens et bureaucrates. En réalité, les politiciens et les fonctionnaires sont des individus qui, en dépit de leurs contraintes morales et éthiques, peuvent parfois agir malhonnêtement lorsqu'ils estiment que le bénéfice anticipé de leur crime est supérieur à la probabilité de se faire prendre et d'en payer le prix. Puisqu'il est admis que l'efficacité administrative du secteur public est généralement moindre que celle du secteur privé, on peut présumer qu'il en va de même de son efficacité à contrer les nombreux abus réalisés sur le dos des citoyens. Dans le secteur public, l'argent que les politiciens et les bureaucrates gèrent n'est pas le leur. D'où un moindre souci à combattre les abus. De toute évidence, lorsqu'on reconnaîtra que l'État s'avère un foyer propice aux collusions de toutes sortes, il est fort à parier qu'on resserrera les systèmes de reddition de comptes assujettissant nos gouvernements et qu'on implantera des règles pour limiter la part de l'économie qu'on confie au secteur public. D'ici là, commission d'enquête ou non, on devra vraisemblablement se contenter de «je ne suis pas au courant», «je vais m'informer» et «j'ai demandé à mon ministère d'examiner la question».

Pierre Simard

Louis Bernard

Consultant et ancien haut fonctionnaire au gouvernement du Québec

LE FOND DES CHOSES

Veut-on vraiment aller au fond des choses? Voilà la seule question qu'il faut se poser pour déterminer si on devrait, ou non, tenir une commission d'enquête sur l'industrie de la construction. Seule, en effet, une telle commission a les pouvoirs nécessaires non seulement pour faire enquête, mais pour interroger sous serment toutes les personnes impliquées dans l'octroi, l'exécution, la surveillance et le paiement des contrats publics de construction. Et seule, une telle commission peut donner aux témoins l'immunité dont ils on besoin pour dire toute la vérité. La situation décrite par le rapport du comité Duchesneau touche l'ensemble de l'appareil gouvernemental. Elle ne peut donc pas s'être développée sans la connivence, active ou passive, de plusieurs échelons du personnel politique et administratif. Elle est donc susceptible d'impliquer plusieurs «personnes de pouvoir». D'où la résistance à faire toute la lumière. Mais pour assainir la chose publique, redonner confiance aux citoyens dans leurs institutions politiques et laver la réputation du Québec, il faut avoir le courage d'aller au fond des choses.


Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

SOMMES-NOUS SI POURRIS?

Ce que les médias retiennent du rapport de l'Unité anticollusion conduite par Jacques Duchesneau et créée par le gouvernement fait dresser les cheveux sur la tête. «Un empire malfaisant dans la construction routière... la peur, les cartels, la collusion, l'infiltration massive du crime organisé, la menace de prise de contrôle de fonctions de l'État ou de municipalités...».  Est-ce la réalité ou des appréhensions? Si oui, les enquêteurs vont-ils aller plus loin avec des cas précis et avec des preuves à produire devant les tribunaux? Sommes-nous si pourris au royaume du Québec? Qu'est-ce qu'on fait? On arrête tout le monde? On place un surveillant derrière chaque fonctionnaire du ministère des Transports? Un policier derrière chaque entrepreneur? Un enquêteur dans chaque firme de génie-conseil? Le rapport de l'Unité recommande-t-il une commission d'enquête publique comme beaucoup le réclament? Une telle enquête nous en dirait-elle plus long? Il y a lieu de croire qu'avec un tel rapport, les choses n'en resteront pas là. Toutefois, avant de nous lancer dans une chasse aux sorcières généralisée attendons de voir si les recommandations du rapport permettent de circonscrire le mal.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal

NOUS SOMMES PRÊTS

Le crime organisé se concentre dans certains domaines reconnus et la construction n'y échappe pas. Il faut vouloir se cacher la tête dans le sable pour ne pas voir les stratagèmes qui existent : surfacturation de temps et de matériaux, collusion, systèmes de fausses factures et blanchiment d'argent, déductions de frais personnels dans les revenus de sociétés, constructions de maisons personnelles à même la main-d'oeuvre payée par le gouvernement, revenus non déclarés, non contrôle du travail effectué, menaces des concurrents, «dons» de résidences personnelles à des décideurs, etc. Un jour, une personne oeuvrant dans le domaine de la construction m'a dit: «Les Québécois ne sont pas prêts à entendre la vérité sur le domaine de la construction.» Ah non? Je pense que les Québécois sont prêts, en fait, plus que prêts. Crevons l'abcès. J'aime mieux payer pour voir une commission d'enquête sur la construction que de payer pour voir mon premier ministre régler ses comptes avec Marc Bellemare. M. Charest, comme vous le disiez si bien, «Nous sommes prêts!». L'êtes-vous?

Pierre-Yves McSween

Mélanie Dugré

Avocate

LA TÊTE DANS LE SABLE

La collusion, la corruption et les malversations dans l'industrie de la construction sont un secret de polichinelle. Il suffit de connaître un tant soit peu ce milieu pour savoir que l'honnêteté, la droiture et la bonne foi ne sont pas des valeurs à la mode dans cette industrie. J'ai grandi avec un père entrepreneur, en électricité, qui a travaillé d'arrache-pied pour bâtir et faire vivre son entreprise en dépit des magouilles ambiantes. C'était dans les années 80, il y a plus de 30 ans! Les conclusions de l'Unité anticollusion ne font aujourd'hui que confirmer le sérieux et la gravité d'une  situation qui a toujours existé, mais qui s'est envenimée avec les années et dont personne n'a voulu prendre charge. Les gouvernements se sont tour à tour plongé la tête dans le sable, espérant sans doute qu'au sortir, le problème aurait disparu de lui-même. Le refus obstiné du gouvernement de tenir une commission d'enquête, incompréhensible lorsqu'on le compare à l'ardeur investie dans des opérations comme SharQC, soulève des doutes quant à la possibilité que quelques-uns de ses propres cadavres puissent se trouver dans les placards de certains chantiers de construction. Mais l'heure est venue de sortir la tête du sable, de se secouer un peu et de s'ouvrir les yeux.

Mélanie Dugré

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

UNE ENQUÊTE PUBLIQUE

Le rapport secret de l'unité anticollusion démontre qu'il y a bel et bien plus que de simples allégations de collusion et de corruption. Il semble y avoir des liens entre des firmes d'ingénierie,  des fonctionnaires, certains entrepreneurs en construction et probablement des politiciens. A la lumière de ces révélations troublantes, il me semble évident que la seule et unique façon de connaître toute la vérité est l'instauration d'une commission d'enquête publique telle que souhaitée par plus de 80% de la population du Quebec. Pourquoi Jean Charest s'obstine-t-il en investissant des dizaines de millions de dollars de fonds publics dans l'escouade Marteau et l'Unité anticollusion, alors qu'une enquête publique pourrait exposer a cours terme les acteurs de ce mélodrame digne du film le parrain ? Et dire que M. Charest  pendant ce temps fait la promotion du plan nord. Une autre magouille en vue...

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée

TROP DIFFICILE DE FAIRE DES AFFAIRES

Il faudrait d'abord que M. Charest sache la réponse à la question : «Pourquoi cette corruption existe-t-elle»?  Dans les sociétés modernes, la corruption a tendance à se développer quand les conditions pour y faire des affaires sont rendues trop difficiles par des lois restrictives au commerce, par une réglementation qui donne aux fonctionnaires des pouvoirs arbitraires, par l'encouragement à des monopoles pour éviter la vraie concurrence et par une fonction publique faible ou incompétente. On en retrouve dans les importants investissements publics car les fonctionnaires dépensent l'argent des contribuables. Les entrepreneurs se voient dans ces cas encouragés à passer à côté de ces restrictions coûteuses en achetant des faveurs des élus ou fonctionnaires qui ont mis ces barrières en place et ces derniers, investis de trop de pouvoirs, l'utilisent pour obtenir des faveurs. Dans une vraie économie de marché, la corruption est restreinte car il n'y a pas de restrictions à l'entrée de nouveaux joueurs qui vont venir « défaire » les systèmes de préférence. Mais encore faut-il régler le problème de financement des partis politiques. Diminuer les contributions à 100 $ par personne comme l'ont suggéré récemment les péquistes Nicolas Marceau, Bernard Drainville et Nicolas Girard pourrait augmenter les besoins des politiciens d'obtenir du financement « au noir ».

Adrien Pouliot

François Bonnardel

Député adéquiste de Shefford

UNE CONFIRMATION DE NOS PIRES CRAINTES

En avril 2009, l'Action démocratique du Québec réclamait la tenue d'une enquête publique sur le milieu de la construction. 30 mois plus tard, tous se sont ralliés à notre demande et il n'y a plus que le gouvernement libéral qui y résiste encore et toujours. Le rapport troublant de l'Unité anticollusion, dont nous avons pris connaissance hier, confirme nos pires craintes : l'industrie de la construction est gravement infiltrée par le crime organisé, la collusion y est une pratique courante et certaines fonctions de l'État sont aujourd'hui menacées. Et encore une fois, il aura fallu le travail des médias pour faire éclater la triste vérité, même si le ministre des Transports avait déjà le rapport en sa possession. Le gouvernement ne peut plus continuer à se cacher derrière les enquêtes policières pour justifier son refus d'agir. Il ne s'agit plus maintenant que d'allégations : il s'agit de faits établis contenus dans un rapport qu'il a lui-même commandé! Il est devenu très clair, avec ce que nous révèle le travail de l'Unité anticollusion, que toutes ces pratiques ont été érigées en un système bien organisé. Or, seule une commission d'enquête publique nous permettra de faire toute la lumière sur un tel système. Le gouvernement libéral n'a plus le choix : il doit déclencher l'enquête que tous les Québécois réclament.

Photo: PC

François Bonnardel

Jana Havrankova

Endocrinologue

UNE BONNE RAISON DE MANIFESTER

Le rapport de l'Unité anticollusion confirme la perception que le milieu de construction est infesté de corruption et de collusion touchant les entrepreneurs, le crime organisé, les firmes de génie-conseil, les fonctionnaires du ministère et les partis politiques. Maintenant, que fera le gouvernement de ce rapport et des nombreux témoignages qui ont abouti aux conclusions présentées? Pourra-t-il continuer à refuser une enquête publique sans dégrader totalement et irrémédiablement la confiance des citoyens? Si nous ne voulons pas vivre dans une société menée par les profiteurs, le crime organisé et les fonctionnaires et les politiciens corrompus, cette enquête devient une urgence nationale. Qu'est-ce que ça prend pour que nous, les citoyens, descendions dans les rues? Après tout, c'est nous qui payons par nos taxes et impôts « les extras » facturés par les entrepreneurs sans scrupules et acceptés par les fonctionnaires. Et nous n'avons encore rien vu si le Plan Nord va de l'avant! Si le gouvernement n'a rien, ou si peu, à se reprocher, pourquoi ne consentirait-il pas à cette enquête? J'ai très hâte d'entendre M. Charest commenter ce rapport « secret ».