À la lecture de la requête de Marc Bellemare, qui réclame l'enterrement de la commission Bastarache, on croirait que tous les intervenants sont en conflits d'intérêts évidents et graves. Sauf lui. Les juges de la Cour d'appel décideront quel mérite attribuer à ces prétentions, éventuellement.

Mais c'est là une occasion exceptionnelle, privilégiée, d'examiner en profondeur un sujet controversé que plusieurs s'empressent de pousser sous le tapis, dès que les circonstances nous obligent à le traiter.

On aurait pu croire que la multiplication par 10 du nombre d'avocats au Québec au cours des 40 dernières années aurait réduit d'autant les risques de conflit d'intérêts. Le contraire s'est produit. Tellement qu'on a dû inventer un nouveau concept juridique, passé depuis plusieurs années dans le vocabulaire courant: la fameuse «muraille de Chine».

De nos jours, les apparences de conflits d'intérêts sont le lot quotidien des cabinets juridiques. Parce qu'il faut distinguer entre apparences et conflit véritable. Heureusement. Je suis tenant de la ligne dure.

L'avocate dont le conjoint avocat travaille pour un cabinet concurrent peut-elle accepter un mandat contre l'associé de son mari? De quoi doivent-ils ne pas discuter, le soir à table? Oups! On pourrait disqualifier un millier d'avocats montréalais en un battement de cils.

Depuis que plusieurs cabinets canadiens comptent plus de 500 avocats, sans compter les notaires et les comptables, auxquels ils peuvent s'associer maintenant, la question est d'une pertinence effrayante. D'où la fameuse «muraille de Chine». Qui règle tout... et rien du tout. C'est une notion introduite par un jugement de la Cour suprême datant de plus d'une décennie qui énonça les paramètres, balises et conditions à respecter pour qu'un cabinet d'avocats ne soit pas en conflit d'intérêts, même si ses membres sont individuellement en conflit d'intérêts. Eh oui. Isolement de l'avocat qui place le cabinet en conflit, codes d'accès informatiques secrets, dossiers physiques sous voûte inaccessible, prohibition de contact... sur le sujet. Bref, nuit et brouillard.

La situation actuelle est aussi difficile à gérer que l'ironie est facile. Le Barreau a récemment mis sur pied un comité spécial pour étudier toute la question des conflits d'intérêts au sein de la profession. C'est une problématique qui ne sera probablement jamais résolue définitivement, puisqu'en constante évolution. On peut toutefois espérer une judicieuse mise à jour.

Je suis d'opinion que la clef de voûte est la divulgation. Peu importe les mécanismes plus ou moins sophistiqués, ce qui s'impose est la divulgation à son client, et à tous intéressés, par l'avocat ou le juge ou le témoin, que la situation le place dans une position qui pourrait être interprétée comme un conflit d'intérêts. Si le client ou le justiciable accepte la situation en toute connaissance, tout baigne. Et le juge évaluera le témoignage à la lumière de la divulgation. Mais l'apparence de conflit d'intérêts qui est révélée par accident ou à la suite d'une enquête, alors que l'apparence de conflit est en voie de réalisation, est un véritable et irrémédiable conflit d'intérêts.

Tout avocat d'expérience intelligent reconnaîtra qu'il est toujours le premier à réaliser la potentialité d'un conflit. Le réflexe est souvent de nier. Mais l'expérience et l'intelligence aidant, il le reconnaît. Et agit en conséquence.

Il faut ici distinguer entre ce qui est un véritable conflit d'intérêts et ce qui peut être perçu comme tel. C'est clair, on ne peut agir pour et contre l'intérêt d'un client. Et la Banque Royale alors? Si elle accepte de traiter avec trois des plus gros cabinets de Montréal pour des mandats en des domaines différents du droit et qu'un autre module du cabinet agit contre elle, en toute connaissance de ce conflit, amen. Conflit qui n'est pas qu'apparent, mais n'en est pas moins accepté.

Les cabinets, même les plus petits, disposent aujourd'hui de tous les instruments pour détecter très facilement tout ce qui ressemble de près ou de loin à une possibilité de conflit d'intérêts. Ce qui doit être imposé est un mode de divulgation incontournable et documenté. Ce qui n'est pas le cas actuellement.