La star du hip-hop Wyclef Jean vient de confirmer qu'il se porte candidat à l'élection présidentielle qui aura lieu en Haïti, en novembre prochain. Il y a quelques mois, tout juste après le tremblement de terre qui a secoué le pays de mes parents, j'avais écrit sur mon blogue que le séisme du 12 janvier dernier offrait à Haïti l'opportunité de renaître, mais que pour cela, il fallait que le pays accepte de changer. Wyclef Jean, c'est fou, mais j'ai envie de voir ce vent de changement souffler sur Haïti.

Un seul homme ne suffira jamais à faire une différence dans un pays aussi profondément détruit et marqué par des décennies de misère crasse. Aussi amoureux soit-il de son pays, il lui faut une équipe tout autant désireuse que lui d'implanter de réels changements en Haïti. Comme Patrick Lagacé l'écrivait, Haïti a besoin d'un boss. Wyclef Jean, le sauveur, on n'en a que faire. Ce qu'on veut, c'est l'homme d'action, c'est l'homme d'idées. On veut que l'homme qui est arrivé dans son pays natal un jour après le séisme pour soutenir ses pairs dans ce drame sans nom et pour ramasser des cadavres à leurs côtés se retrousse les manches pour trouver les outils qu'il lui faut pour faire correctement la job de bras qui l'attend.

Certes, un rappeur, ça ne fait pas sérieux, certes, il n'a pas d'expérience en politique. Mais pour avoir passé sept mois dans mon pays d'origine, de septembre 2007 à mars 2008, je peux vous dire que ça fera une sacrée différence d'avoir un président visible aux commandes d'Haïti! Wyclef Jean vient avec cette certitude : les yeux du monde entier resteront braqués sur Haïti s'il devient président. Le moindre de ses gestes sera épié, analysé et critiqué. Je vois cette pression sur son dos d'un bon oeil. Je ne connais pas l'homme, ni ses intentions, mais il y a fort à parier qu'il voudra bien faire, aussi inculte soit-il en rouages politiques.

Wyclef Jean a grandi à l'étranger. Il devrait donc avoir une perspective différente de ce qui se passe dans son pays d'origine par rapport aux citoyens qui vivent en permanence en Haïti. Est-ce que cette vision sera génératrice d'idées nouvelles? On ne peut que le souhaiter. Ce rappeur est déjà riche. Est-ce que ça l'empêchera d'avoir envie de fouiller dans les coffres de l'État pour se remplir les poches? On ne peut que le souhaiter, bien que là nous parlions de milliards de dollars à gérer versus les petits millions qu'il a pu accumuler au fil des ans. Le chanteur n'est pas très instruit, semble-t-il, et pourrait ne pas être très au courant de certains dossiers qui dépassent son champ de compétences. OK, c'est vrai. Mais comme plusieurs, j'ai envie de m'en ficher et de voir ce dont il sera capable.

Bien d'autres avant lui se sont cassé la gueule, avec diplômes et expérience en poche. Quand j'étais sur le terrain, j'ai parlé à des gens qui ont obtenu un emploi grâce aux actions de Wyclef Jean. D'une pierre, il a fait deux coups, car en leur donnant un travail, qui consistait à nettoyer les rues, il rendait aussi certains coins de la capitale plus vivables. Quand j'étais sur le terrain, j'ai vu d'autres gens croupir le ventre vide dans la saleté parce que leur président, René Préval, n'avait pas de plan pour vitaliser l'économie de leur pays et ainsi leur procurer un emploi.

Dans un contexte normal, la candidature de Wyclef Jean m'apparaîtrait comme la pire des absurdités. Cependant, toutes considérations prises, je me dis: à quel point Haïti peut aller plus mal encore? Ça fait tellement longtemps qu'il n'y a pas de bon pilote à bord de ce pays. C'est épeurant, inquiétant de penser qu'un rappeur amoureux soit celui qu'il faut pour révolutionner la situation qui prévaut en Haïti. Mais quand je pense à ce jeune garçon de 15 ans qui m'a dit un jour, en haussant les épaules: «Tout ce que j'attends de ma vie, c'est de mourir. Que j'aille à l'école ou non, ça ne fera aucune différence: jamais je ne trouverai d'emploi dans ce foutu pays», je ne peux qu'espérer que Wyclef Jean devienne un leader bien encadré qui contribuera à faire progresser Haïti, ne serait-ce que d'un pas.