Il faut croire que nos dirigeants actuels ont bien mauvaise mémoire. Si le projet d'acquisition d'Énergie NB par Hydro-Québec peut avoir un certain sens sur le plan des affaires (un sens dont il restera d'ailleurs à faire la preuve dans le concret), il ne faut pas écarter le risque d'un dérapage politique qui pourrait nous replonger dans une crise majeure pour l'avenir du Québec et du Canada.

À peine annoncée, la transaction s'attire les foudres de Danny Williams, le premier ministre de Terre-Neuve. Terre-Neuve... Ça ne vous rappelle rien? Et comme ce fut le cas pour l'accord du lac Meech de si funeste mémoire, la transaction est assujettie à un processus de consultation populaire, circonscrit au Nouveau-Brunswick, il est vrai. Mais parions que tout ce que le pays compte de démagogues et de pêcheurs en eaux troubles va se mobiliser pour fustiger une opération qui, il faut bien l'admettre, accroît sensiblement l'emprise d'Hydro-Québec sur le marché de l'électricité dans le nord-est du continent. Au-delà de la clientèle du Nouveau-Brunswick, c'est le marché des États américains voisins qui est visé pour des exportations ponctuelles profitables.

Il faut être bien inconscient ou très naïf pour croire que l'affaire est dans le sac. Les milieux anglo-canadiens des finances et du génie-conseil se souviennent des effets qu'avait eus la nationalisation d'Hydro-Québec sur leurs activités.

À Montréal et au Québec, ils s'étaient rapidement vus «tasser» par une nouvelle élite francophone que l'opération avait enhardie, et avaient du se résigner à une diminution de leur chiffre d'affaires et à une perte d'influence.

En l'espace de 10 ans, Hydro-Québec est devenue le «navire amiral» de l'économie québécoise. Dans son sillage allaient apparaître une pléthore d'entreprises dont on mesure encore tous les jours les gains en importance et en influence. Et il y a les autres. À la Caisse de dépôt, on doit se frotter les mains.

Cependant, en affaires, ce que les uns gagnent, les autres le perdent. Si les consommateurs du Nouveau-Brunswick risquent d'y gagner avec des tarifs dont le rythme d'augmentation va ralentir, les plus gros fournisseurs de services d'Énergie NB vont la trouver saumâtre.

Quoi de plus normal pour Hydro-Québec de consolider certains centres de décision aujourd'hui encore au Nouveau-Brunswick à son siège social de Montréal.

Les provinces atlantiques ne comptent pas de nombreux sièges sociaux. La perte de l'un des plus gros risque d'avoir de grosses répercussions sur les réseaux d'affaires qui y sont établis.

Le bonheur de Montréal et du Québec risque d'être singulièrement terni par les lamentations et le bruit des chemises déchirées qu'on s'apprête à entendre d'un bout à l'autre du pays.

Au-delà des seules considérations économiques, on aurait tort de sous-estimer les conséquences politiques. Le débat lui-même va être difficile.

Chauffé à blanc par les démagogues de tout acabit, il risque de devenir le déversoir de tous les préjugés anti-québécois qui prolifèrent au Canada. L'affaire débouchera sur un climax toxique au possible qui ne pourra se solder que par la «défaite» des uns ou des autres, avec les risques politiques que cela comporte pour l'avenir du Québec et du Canada.

On oublie vite les victoires, elles ne font les manchettes qu'un jour. Les défaites, elles, marquent. On parle encore des plaines d'Abraham. De Meech aussi. Ce sont les amateurs de chiffons rouges et de drapeaux piétinés qui vont être ravis. À quoi pense donc Jean Charest?

Richard Le Hir

Conseiller en gestion, l'auteur a été ministre dans le gouvernement de Jacques Parizeau.