En essayant de rester au-dessus de l'arène électorale fédérale, il vaut la peine de se pencher sur le projet d'aménagement du Bas-Churchill au Labrador, et l'acheminement de cette électricité par un tunnel vers l'île de Terre-Neuve, puis par un câble sous-marin vers la Nouvelle-Écosse.

Le projet illustre bien l'incohérence des politiques énergétiques au Canada et au Québec. Il est loin d'être une catastrophe écologique, surtout sa première phase de 800 mégawatts qui fait l'objet du débat en cours. Si on peut craindre de favoriser l'érosion des rives du futur réservoir et de contribuer davantage à l'appauvrissement de la productivité marine, le territoire inondé ne dépassera pas 42 km2 comparativement aux centaines de km2 du projet La Romaine et du projet projeté de Petit Mécatina.

La vraie catastrophe, s'il en est une, a eu lieu en amont du même fleuve au moment de la création de l'immense mer artificielle intérieure de 6500 km2 que constitue le réservoir Smallwood et le quasi-assèchement des grandes chutes Churchill.

Incohérence fédérale d'abord. On retenait à peine nos larmes quand on entendait le premier ministre Harper parler de lutte contre les changements climatiques pour justifier le soutien financier au projet du Bas-Churchill. Après des années de déni du phénomène et de sabordage organisé de toutes les conférences internationales sur le climat, il faut quand même être gonflé. On ne l'avait pas vu vanter et offrir un appui financier à l'achat d'Énergie Nouveau-Brunswick par Hydro-Québec qui aurait permis la fermeture de centrales thermiques désuètes et fortement polluantes (mais qui aurait eu aussi pour effet pervers l'achat d'une centrale nucléaire et de son lourd passif radioactif...).

Même si le calcul électoral a sûrement prédominé, l'argument climatique n'est pas faux pour autant, car le câble sous-marin permettrait à la Nouvelle-Écosse de se débarrasser à terme de 96 millions de tonnes d'émissions de GES d'ici 2065, ce qui n'est pas rien. Mais «lutter» pour le climat dans l'Est et financer le développement intensif des sables bitumineux dans l'Ouest pourrait laisser le climat dans un état de perplexité certain.

Incohérence québécoise aussi. Après avoir frôlé une entente entre Lucien Bouchard et Brian Tobin au début des années 80 sur le développement du Bas-Churchill, le Québec et Hydro-Québec ont développé une position de négociation extrême en refusant le passage sur son territoire de l'énergie du Labrador, avançant qu'il n'y aurait tout simplement plus de place sur nos lignes de transport. Car Hydro, depuis, a préféré tout miser sur le développement de la rivière La Romaine et songe déjà à la prochaine rivière sauvage à sacrifier, La Petit Mécatina. Quant à la compétition avec Terre-Neuve, le Québec s'en souciait peu, jugeant sans doute farfelu et non rentable tout projet de passage sous-marin vers la Nouvelle-Écosse.

Terre-Neuve et le gouvernement Harper sont prêts à financer un projet de 6,1 milliards de dollars pour produire la moitié moins d'énergie que le projet La Romaine dont le prix est équivalent. Donc, à deux fois le prix de La Romaine.

N'aurait-il pas été mieux pour Québec de s'entendre avec Terre-Neuve pour développer le Bas-Churchill, déjà fortement artificialisé, en étudiant les meilleures solutions quant au transport, quitte à demander ensemble l'aide du fédéral pour le passage sous-marin? On aurait pu se consacrer au Québec sur l'énorme potentiel de conservation d'énergie qui dort dans nos maisons, institutions et usines et sur le non moins énorme potentiel éolien du Nord plutôt que de continuer le travail de sape sur nos dernières grandes rivières.

Solution idéaliste peut-être, quand on connaît le degré d'émotivité exacerbée qui caractérise nos relations avec Terre-Neuve autour des frontières du Labrador, de Churchill ou de Old Harry. On se prend quand même à rêver que la sagesse pourrait encore prévaloir.