Depuis le début de la campagne fédérale, Stephen Harper ne cesse de prévenir les électeurs contre le risque d'une «coalition» regroupant le NPD, le Parti libéral et, peut-être, le Bloc québécois. En attaquant cette supposée «coalition» et en associant directement le NPD et les libéraux au Bloc, M. Harper s'efforce notamment de mobiliser la base de son parti en Ontario et dans l'Ouest.

D'ailleurs, en décembre 2008, c'est dans l'Ouest que les réactions contre le projet de coalition animé par Stéphane Dion ont été les plus virulentes. Tel a été le cas en Saskatchewan, province dominée par les conservateurs, qui y ont remporté 13 des 14 sièges en octobre 2008. Ironiquement, c'est pourtant dans cette province de l'Ouest qu'on trouve un exemple récent de coalition gouvernementale au Canada.

En Saskatchewan, la vie politique des années 90 a été dominée par le NPD de Roy Romanow, qui a facilement remporté les élections provinciales de 1991 et de 1995. Cependant, contre toute attente, à l'élection de septembre 1999, le NPD n'a remporté que 29 des 58 sièges (contre 26 pour le Parti de la Saskatchewan et trois pour le Parti libéral). Afin de conserver le pouvoir tout en formant une coalition stable capable de gouverner la province, M. Romanow a forgé une alliance avec les libéraux. Pour ce faire, il a intégré deux de leurs députés à son cabinet tout en nommant le troisième au poste de président de l'assemblée législative.

Scellée par un accord entre les deux partis, la coalition a gouverné la province pendant quatre ans jusqu'à l'élection provinciale de 2003, à la suite de laquelle le NPD, dirigé depuis le début 2001 par Lorne Calvert, a remporté de justesse l'élection provinciale, ce qui lui a permis de former un gouvernement majoritaire. Toutefois, dès l'arrivée d'un nouveau leader libéral (David Karwacki) en octobre 2001, le Parti libéral provincial a retiré son appui à la coalition et les deux députés libéraux qui avaient décidé de rester au sein du gouvernement Calvert jusqu'à l'élection de 2003 ont dû le faire en tant qu'indépendants. Lors de cette élection provinciale, divisé et affaibli, le Parti libéral n'a remporté aucun siège.

Comme le souligne Larry Johnston (Politics, 2007), cette réalité renvoie aux risques politiques réels qu'encourent les partis qui décident de s'associer à une formation politique plus puissante (dans ce cas, le NPD provincial) pour former une coalition gouvernementale. La mise en place et le maintien de la coalition a nécessité des efforts importants de la part des premiers ministres Romanow et, plus tard, Calvert.

Mais il y a également des leçons positives à tirer de l'expérience saskatchewanaise en matière de gouvernement de coalition. Ainsi, selon Roy Romanow, qui a récemment écrit sur le sujet (Saskatchewan Politics, 2009), la coalition néo-démocrate/libérale a été rendue possible notamment par le maintien de rapports de confiance avec ses partenaires de coalition libéraux. L'existence de bons rapports personnels entre de tels partenaires peuvent donc aider les élus à transcender au moins temporairement les frontières partisanes pour gouverner. Qui plus est, la coalition a permis de gouverner la province de façon stable, sans qu'une nouvelle élection ne soit nécessaire, à court terme. Loin d'être considérée comme illégitime par la grande majorité de la population, l'existence de cette coalition n'a pas empêché le NPD de se faire réélire en 2003.

Malgré les défis et les problèmes qu'elle a suscités, l'expérience de la coalition NPD - Parti libéral en Saskatchewan souligne que, même au Canada, ce type de coalition peut avoir des conséquences positives, ce que Stephen Harper se garde bien de mentionner.

Paradoxalement, l'expérience récente d'une province perçue aujourd'hui comme un bastion du Parti conservateur fédéral permet de remettre en cause le discours de Stephen Harper au sujet des coalitions.