Alors qu'Ottawa engage des milliards de dollars dans l'achat d'avions de chasse dont nous ignorons toujours l'utilité, alors que Québec dépensera des centaines de millions de dollars pour construire un amphithéâtre dont les revenus bénéficieront principalement à l'entreprise privée, alors que les administrateurs grassement payés de nos institutions d'enseignement supérieur quittent leurs postes avant la fin de leur mandat en empochant des primes de départ astronomiques, il est assez cocasse de voir M. Pierre-Yves McSween écrire que les étudiants sont «chanceux», au moment même où ceux-ci se verront imposer par le nouveau budget libéral une hausse impitoyable des droits de scolarité de 75% tout de suite après en avoir digéré une de 30%.

Du haut de sa tour, M. McSween relativise la hausse des droits de scolarité en la mettant en parallèle avec la hausse du salaire minimum et avec la baisse du prix des ordinateurs portables. Si la baisse du prix des ordinateurs constitue une bonne nouvelle pour le portefeuille de certains étudiants, nul besoin d'être comptable pour savoir que cela n'est point un indicateur fiable de leur pouvoir d'achat et encore moins de l'augmentation de leur qualité de vie ou de leur «chance».

D'ailleurs, tandis que le prix des ordinateurs portables a diminué, le prix d'autres produits et services bien plus vitaux (nourriture, vêtements, logement, transport en commun, etc.) n'a cessé d'augmenter, ce qui vient modérer considérablement les effets d'une hausse du salaire minimum.

Loin d'être chanceux, les étudiants en arrachent. En effet, ils travaillent en moyenne 15 heures par semaine et 37 heures pendant l'été et malgré cela, 61% d'entre eux sortent du premier cycle d'études supérieures endettées, dont 25 % de plus de 18 000 dollars. Quant aux plus pauvres, l'aide financière aux études (AFE) leur permettra de survivre. Survivre étant le terme le plus juste, puisque l'AFE considère que 7 dollars par jour suffisent pour se nourrir.

M. McSween tente ensuite de faire avaler aux étudiants que les études à faibles coûts constituent un «privilège», oubliant qu'il s'agit pourtant d'une réalité dans bon nombre de pays européens (lorsque ceux-ci n'ont pas tout simplement un régime de gratuité).

Pour illustrer son propos, il évoque ses parents et grands-parents qui ont fait leurs études dans des conditions bien plus difficiles. Il faut avoir une conception tout à fait tordue du progrès pour penser qu'une génération doit faire abnégation de ses droits et de ses idéaux sous prétexte que les générations qui l'ont précédée vivaient une situation moins enviable. En allant au bout de la logique de M. McSween, on pourrait arguer que les groupes féministes qui luttent courageusement pour le droit des femmes devraient se taire sous prétexte que la situation des femmes d'aujourd'hui est meilleure que celles des femmes d'il y a 50 ans.

Mais là où, à notre sens, M. McSween dépasse les bornes, c'est dans sa tendance à appliquer la logique du marché au monde de l'éducation. L'éducation n'est pas un panier de bleuets du marché Jean-Talon ou un four à micro-ondes de chez Brault & Martineau: sa valeur ne peut être chiffrée pour la simple et bonne raison qu'elle dépasse (et de beaucoup) ce qu'un marché boursier peut évaluer.

L'éducation est bien plus qu'un «investissement» ou un simple service. Ce n'est pas un REER ou une police d'assurance. L'éducation est ce qui fait la différence entre une société éveillée et une société aliénée, entre un citoyen et un simple engrenage du système. L'éducation est ce qui fait que des générations entières ont pu, à travers l'Histoire, s'émerveiller du savoir cumulé par l'humanité au fil des âges, et d'avoir la capacité et le courage d'y contribuer à leur tour.

L'éducation, de l'enfance à l'âge adulte, n'est pas un privilège. C'est un droit et un devoir pour chacun d'entre nous. Vouloir la monnayer, en faire un vulgaire produit pour les centres d'achats de la nation, est une insulte contre l'espèce humaine et l'idée même de progrès.