Sauvons les banques! Sauvons la Grèce! Sauvons la zone euro! Sauvons Washington de la décote financière! Jamais il n'aura fallu sauver autant et en si peu de temps. Tout ça, dit-on, pour nous sauver. Certes! Il faut maintenant ajouter un autre sauvetage à la liste, celui des Somaliens, victimes de la famine.

La Somalie est une tragédie depuis plus de 20 ans. En 1991, le pays se désintègre et sombre dans la guerre civile à la suite de différends politiques. La famine devient une arme aux mains de certaines factions au point où le monde, horrifié, intervient pour éviter la mort d'un million de personnes. En décembre 1992, George Bush père prend la tête d'une vaste coalition, et quelque 30 000 militaires d'une quarantaine de pays débarquent sur les plages de la capitale, Mogadiscio, afin de permettre l'acheminement et la protection des secours humanitaires. Parallèlement, l'ONU lance un processus de négociations politiques afin de sortir le pays de la guerre.

J'étais en Somalie, au début de 1993. À l'époque, au milieu des dévastations, il règne un grand sentiment d'espoir, du moins à la surface des choses. L'ONU, l'Occident et le monde entier sont au chevet du malade. La famine est évitée, mais les négociations politiques sont bloquées. Les Américains et l'ONU forcent les choses et s'en prennent à l'une des factions. C'est la catastrophe, illustrée par la chute d'un hélicoptère américain sur la capitale pendant une bataille qui fait 18 morts du côté américain et des centaines du côté d'une des milices. CNN montre en direct les cadavres de soldats américains. C'est la fin de l'intervention et le chaos s'installe. En 1995, l'ONU rembarque ses Casques bleus et le pays est abandonné à lui-même.

Si certaines choses ont changé en 20 ans - il y a dans la capitale des édifices flambant neufs, une université fréquentée, même une usine de fabrication de Coca-Cola -, la guerre reste bien présente. Le gouvernement contrôle à peine la capitale sous la protection d'une force de paix de l'Union africaine, des milices islamistes pro-Al-Qaïda contrôlent une partie du territoire, alors que tout le nord du pays - le Somaliland - a proclamé son indépendance et vit dans le calme. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, il y a ces pirates qui écument les côtes du pays et posent un danger à la navigation internationale.

La famine actuelle, celle qui menace maintenant plusieurs millions de personnes et qui s'installe en Éthiopie et au Kenya, est un produit de ce chaos, de cette guerre et de conditions climatiques extrêmes. Elle était tout à fait prévisible, comme le démontrent les multiples rapports de l'ONU depuis plusieurs années et où chaque fois on appelait à l'aide. Elle était donc évitable, mais rien n'y fait. Le monde réagit à peine, jusqu'au jour où l'insupportable crève l'écran, où des enfants meurent sous nos yeux. Alors on s'agite. Lundi, à Rome, plus d'une centaine de pays se sont entendus pour mettre la main au portefeuille et envoyer leurs ressources humaines et matérielles sur le terrain. La famine devrait être évitée. C'est déjà beaucoup, mais pour combien de temps'

Y a-t-il une solution pour empêcher une récurrence de ce malheur dans 5 ou 10 ans' Il faudrait pour cela apaiser les tensions régionales, régler la crise politique nationale, repenser la gouvernance de ce pays et, sans doute, en accepter la partition et reconnaître le Somaliland, démanteler les milices, confisquer les armes, soutenir l'agriculture, l'élevage et la pêche... bref, une tâche titanesque. Qui veut s'y atteler et avec quels moyens'