L'auteur est un ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec. Il réagit à l'opinion de Sylvain Charlebois intitulée «Dans la cave», publiée samedi dernier.

En lisant l'opinion de Sylvain Charlebois, je me suis rendu compte à quel point la perception voulant que la SAQ refuse de promouvoir les vins produits au Québec est encore bien répandue et semble avoir la vie dure. Voyons plutôt la réalité de la situation.

Depuis la signature des accords de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994, les pays membres se sont engagés à éliminer les entraves au commerce international. Dans ce contexte, les pays se devaient, par voie de conséquence, d'éliminer les monopoles sur leur territoire respectif. Toutefois, devant le positivisme exprimé par les producteurs des pays exportateurs de vins, les monopoles de boissons alcoolisées des provinces canadiennes ont obtenu un genre de tolérance, à certaines conditions, dont celle voulant que lesdits monopoles ne favorisent pas les vins locaux au détriment des vins importés. Cela voulait tout simplement dire que la marge de profit ajoutée au coût d'un vin local ne pouvait être moindre que celle prise sur un vin équivalent importé.

Tous les monopoles en question, dont la SAQ et son équivalent ontarien, le LCBO, se sont pliés à cette exigence. Mais l'impact de cette condition est différent d'une province à l'autre.

L'Ontario, grâce à son climat plus doux, notamment dans la région du Niagara, est en mesure de produire du vin local sur une base industrielle et, conséquemment, à des prix très bas. C'est ainsi que plus du quart des vins vendus dans les succursales du LCBO sont des vins locaux à des prix très compétitifs si comparés avec les vins importés.

Au Québec, la situation est complètement différente. Le climat plus froid limite la production du vin local à un niveau purement artisanal avec la conséquence que les coûts de production par bouteille sont très élevés. Dans la réalité économique, on peut compter sur les doigts d'une seule main les vignobles québécois qui produisent plus de 50 000 bouteilles de vin par année.

L'artisan québécois qui veut vendre son vin dans les succursales de la SAQ verra ce même vin hors de prix en comparaison à un vin importé de même qualité, considérant la marge que la SAQ doit prendre pour respecter les conditions de l'OMC.

De plus, même si le total de la production des vins locaux était entièrement vendu par la SAQ, cela représenterait moins de 1% de ses ventes de vin. Plus encore, si la SAQ décidait de vendre dans ses succursales la totalité de la production de tous les vignobles québécois sans prendre de marge de profit, sa rentabilité n'en serait presque pas affectée, le volume en question étant trop faible. Mais cela aurait des conséquences néfastes, car elle devrait faire la même chose avec les vins importés, éliminant ainsi toute possibilité de faire un profit.

D'ailleurs, si la SAQ vendait les vins locaux avec une marge de profit moindre qu'avec les vins importés, elle se retrouverait rapidement au banc des accusés et devrait cesser cette pratique au risque de perdre son statut de monopole reconnu par l'OMC.

Mais tout cela ne veut pas dire que les artisans producteurs québécois sont désavantagés. Au fil des ans, le gouvernement du Québec leur a permis de vendre leurs vins ailleurs qu'à la SAQ, le tout sans taxe. C'est ainsi qu'ils peuvent écouler leur production à un prix de vente qui leur permet un bon profit, notamment sur les lieux de production et dans les marchés publics. Comme ces endroits ne sont pas régis par les conditions imposées par l'OMC, les producteurs québécois peuvent y faire ce qu'il n'est pas permis de faire à l'intérieur des succursales de la SAQ.

Ainsi, tout le monde y trouve son compte et, à ce que je sache, les artisans québécois sont en mesure d'écouler la totalité de leur production, même sans l'aval de la SAQ.