La collusion est un mal inévitable, tout spécialement lors d'attribution de contrats par appel d'offres. On en fait une question de nature, collusion contre non-collusion, alors que c'est une question de degré; il faut mesurer sa fréquence et son importance.

Dans le débat actuel, on néglige de confronter les facteurs qui favorisent la collusion. Mieux connaître ces facteurs serait une avenue nettement plus profitable pour éviter ou minimiser les comportements collusifs. Les appels à la moralité ou l'éthique ne viendront pas à bout de ce marasme; les religions ont toutes besoin d'un confessionnal. Déjà Adam Smith notait que les gens d'une même industrie se rencontrent peu souvent, mais lorsqu'ils le font, la conversation se termine toujours par une conspiration contre le public et qu'aucune loi cohérente avec la justice ou la morale ne peut empêcher de telles rencontres.

On se souvient tous du cartel du pétrole; on a pu apprécier la force d'une union des producteurs, mais aussi son caractère éphémère. La collusion n'est pas viable à long terme à moins que des facteurs en favorisent le maintien. La législation procure parfois cet encadrement. C'est le cas, au Québec, des régimes de contingentement de l'offre dans le poulet ou le lait.

Dans le cas de l'industrie de la construction, des facteurs propres encouragent la collusion. Le problème est universel. Dans la dernière décennie, les scandales ont éclaté aux Pays-Bas, au Japon, en Afrique du Sud, en Australie et en Grande-Bretagne. Sans mentionner la pléthore de cas aux États-Unis entre 1960 et 1990 qui ont donné lieu à moult analyses par les journalistes et les doctorants en économie.

Donc pourquoi la collusion est-elle si prévalente dans l'industrie de la construction? Le nombre restreint d'entreprises favorise les rencontres. L'importance des investissements en capital incite certaines firmes à offrir parfois leurs services en deçà du coût à long terme afin de couvrir leurs frais courants. Si les concurrents suivent le pas, l'industrie fonctionne à perte. Toute une motivation à la collusion!

Il y a aussi des facteurs propres au mode d'attribution des contrats. Les appels d'offres en soi favorisent la collusion. En plus de limiter le nombre de prétendants, les exigences de transparence limitent les pouvoirs publics dans leur habilité à modifier les stratégies contractuelles face à une collusion appréhendée. Et s'il est facile de s'entendre sur les prix, la tricherie d'un membre de la collusion pourrait tout faire tomber. Or, lorsque le prix du soumissionnaire gagnant est dévoilé, on renforce la discipline du cartel. Finalement, le dessin des devis et les conditions du contrat, que cela soit fait par les fonctionnaires ou par des firmes externes, favorisent les modes d'entente.

Une commission d'enquête aura peu d'utilité pour prévenir la collusion future si les conditions de l'industrie et les modes d'attribution de contrats ne changent pas. Une commission pourra trouver des coupables, mais d'autres joueurs s'empresseront de remplir le vide créé. Et la tentation de réglementer davantage qui pourrait découler de l'ardeur de juges ou d'avocats ne changera rien aux comportements et pourrait même les rendre plus collusifs.

Arrêtons de présumer qu'une fois les méchants mis en prison, le problème disparaîtra. Il existe des méthodes assez simples et reconnues pour détecter la collusion lors de l'attribution des contrats. Et sans remettre en cause le principe de transparence, on peut adopter des stratégies variables dans le processus d'appel d'offres, la fabrication des devis et l'attribution des contrats qui ont pour effet de réduire l'incidence de la collusion et son ampleur.

On a raison comme citoyens de se sentir impuissants puisque la justice et les pouvoirs publics ne viennent pas à bout du problème. Si on mettait un dixième de l'énergie présentement consacrée à tourner autour du pot avec les incantations morales, éthiques et légales, on ferait un grand pas pour rendre la collusion moins fréquente et dommageable.