L'auteur a été député du Bloc québécois à la Chambre des communes de 1997 à 2006. Ce texte est extrait de son livre Juif - Une histoire québécoise, publié aux Éditions du Marais, qui sera en librairie la semaine prochaine.

Peu de peuples ont fait face à autant d'adversité dans leur histoire que les Juifs.

Israël devrait logiquement être un partenaire économique de choix, voire un modèle pour le Québec. Au lieu de ça, aujourd'hui, nous avons droit de la part de plusieurs voix au Québec, comme ailleurs dans le monde, à un appel au boycottage des produits israéliens et des entreprises qui supportent Israël. Israël est montré du doigt comme autrefois l'Afrique du Sud de l'apartheid !

Pourtant, Israël est une démocratie et un État de droit, comme le Québec et à la différence de tous les autres États du Moyen-Orient, lesquels sont au mieux autoritaires.

Comme le Québec, Israël est un modèle d'égalité des droits des homosexuels, des femmes, un État social démocrate, qui mise sur la haute technologie et l'économie du savoir. Voilà un peuple peu nombreux qui se bat pour sa langue, comme le Québec, un peuple qui a affronté l'adversité pour se construire un pays, un pays bien à lui.

J'avoue que je ne comprends pas bien pourquoi une majorité de Québécois, et plus encore parmi les souverainistes, ont le réflexe de s'identifier aux Palestiniens plutôt qu'aux Israéliens.

Est-ce que ces Québécois se voient comme des victimes, comme un peuple faible et s'identifient ainsi aux Palestiniens parce qu'ils sont eux aussi sans État ?

[Lors de mes visites dans ce pays], je n'arrivais pas à comprendre clairement les raisons de ce parti pris de l'opinion québécoise contre Israël. Mais moi, j'aimais ce que je voyais, ce que je lisais, ce que je savais et découvrais d'Israël. Je trouvais injuste le traitement qui était infligé à ce petit pays courageux, qui ressemblait au Québec par tant d'aspects. Je me souvenais du désarroi et du sentiment d'injustice que je ressentais quand on s'attaquait au Québec à partir de stéréotypes grossiers et de jugements péremptoires divorcés de la réalité.

Jusqu'à tout récemment, j'avais été amené par les circonstances à me faire le porte-parole du Québec et du projet souverainiste au Canada, en France et dans le monde. Je décidai de mieux faire comprendre Israël ici. Je voulais que ce petit pays incompris que j'aimais continue d'exister. En d'autres mots, je suis devenu sioniste.

Voilà un mot chargé qui fait peur à bien du monde. Il est même utilisé comme une insulte par les ennemis d'Israël et par les antisémites. Pourtant, quand j'emploie ce mot, j'exprime une idée toute simple, celle voulant que le peuple juif ait droit à l'autodétermination et à son propre pays. Dit plus carrément : Israël a le droit d'exister. Tout simplement.

Une des difficultés que je devais affronter, c'était l'opinion de mes propres collègues députés du Bloc québécois.

Oeuvrant sur la scène fédérale, le Bloc était en effet amené à se prononcer régulièrement sur la question israélo-palestinienne. En 2000, les positions du Bloc en Affaires étrangères étaient surtout le fait de Francine Lalonde et de Gilles Duceppe lui-même, qui a toujours pris très au sérieux les questions internationales et diplomatiques. Pour lui, comme souverainiste, il s'agissait ni plus ni moins que de poser les jalons d'une éventuelle politique étrangère québécoise.

J'eus donc à ferrailler à maintes reprises avec mes collègues du caucus, eux qui sont très représentatifs de la majorité québécoise et conséquemment, pour une bonne part d'entre eux, pro-Palestiniens. Je dois dire que la grande majorité d'entre eux tenaient des propos sensés et réfléchis et le chef donnait à cet égard un exemple de rigueur et de leadership qui a permis au Bloc québécois de défendre une position relativement équilibrée sur cette question pendant de nombreuses années.

Je me faisais cependant un devoir d'amener des faits absents des médias québécois et canadiens et d'amener un éclairage nouveau sur la situation au Proche-Orient. Il me fallait d'abord et avant tout combattre l'idée fausse et trop largement répandue voulant que les Juifs aient volé leur terre et leur pays aux Palestiniens.

Une chose est certaine, peu de peuples ont fait face à autant d'adversité dans leur histoire que les Juifs. Encore aujourd'hui, les Israéliens doivent vivre avec la menace constante de roquettes, d'attentats et de puissances régionales dont l'objectif avoué est d'annihiler l'État juif.

Mais quelle résilience ! Quelle volonté de vivre malgré tout le plus normalement possible! Lors de mon second séjour, alors que les attentats se multiplient, les nombreux Israéliens que je rencontre dans la rue, au restaurant, dans les magasins nous remercient de notre présence, nous offrent des rabais, nous invitent à la maison.

Ils veulent ainsi non seulement partager leur douleur, leurs craintes et leurs espoirs, mais aussi nous démontrer qu'ils veulent continuer à vivre. À grandir. À construire. Sur cette terre qui est la leur.

J'en suis revenu encore plus impressionné par ce peuple tenace et intelligent. Et déterminé à faire le contrepoids, dans la mesure de mes modestes moyens, à une vision vaguement - et quelques fois clairement - antiisraélienne du conflit.

J'étais devenu, par admiration et par sympathie pour le peuple israélien, un sioniste actif.

Je voulais devenir Juif

Ma conversion au judaïsme, bien que couronnant un processus long, sérieux, complexe et rigoureux, n'est pas un aboutissement, mais un départ, un départ vers je ne sais quoi exactement.

Je ne sais pas encore expliquer complètement pourquoi moi, un Québécois de souche, né et élevé dans une famille catholique pratiquante, devenu plus tard agnostique, voire cynique, suis retourné vers Dieu, non pas en tant que chrétien, mais en tant que Juif.

Lors de mon troisième séjour en Israël, en septembre 2003, je sens que quelque chose se passera, mais je ne sais pas encore quoi.

Je «connecte» avec Israël comme jamais. Je me sens à l'aise comme jamais. J'ai l'impression de retourner, en quelque sorte, à la maison. Comme si cet endroit m'appartenait et comme si j'appartenais à cet endroit.

Après un shabbat particulièrement spécial, je vécus une cérémonie de havdallah exceptionnellement émouvante.

Les prières - pourtant en hébreu - me touchent. Les mélodies m'émeuvent. Les rituels centenaires viennent chercher quelque chose de très profond en moi, quelque chose qui dormait. Que je croyais mort.

Le fait que cette cérémonie ait lieu à Jérusalem, à l'extérieur, avec une vue magnifique sur les murailles de la Vieille Ville, ne peut qu'ajouter à la puissance de ce que je ressens. (...)

Je voulais devenir juif, adopter cette tradition mêlant particularisme et universalisme, cette pensée qui a donné au monde l'idée du Dieu unique, cette vieille religion qui a donné naissance au christianisme et à l'islam, cette philosophie qui m'attirait par l'emphase qu'elle place sur l'importance de la famille, de l'entraide, du questionnement et de l'intelligence.

Après avoir passé de nombreuses années dans l'indifférence religieuse, passant d'un agnosticisme curieux à un athéisme militant, j'étais prêt à me réconcilier avec Dieu. J'avais besoin de spiritualité. J'avais besoin de sens. Et je trouvais cela dans le judaïsme.

Ma redécouverte de la religion se fit à un niveau beaucoup plus profond que mes années d'études catholiques quand j'étais enfant, adolescent et jeune adulte.

L'idée de baser mes croyances, voire ma vie, sur la Torah m'attirait.

L'insistance que met le judaïsme sur ce texte sacré, son interprétation, sur la discussion entre l'Homme et Dieu à travers l'étude de ce texte, répondait à mon besoin de spiritualité et de débat intellectuel.

De plus, j'étais attiré par le côté concret du judaïsme.

Certaines religions offrent des méthodes pour échapper aux souffrances et aux limitations de l'existence physique. D'autres religions offrent l'espoir d'une vie meilleure après la mort.

Le judaïsme met plutôt l'accent sur cette vie, ici, maintenant. Sur l'importance de vivre une vie morale, selon des règles édifiées pour aider à le faire.

Le judaïsme ne me demandait pas simplement de croire. Il me demandait de questionner les textes, d'argumenter avec ceux-ci (de même qu'avec ceux et celles qui me les expliquent et enseignent).

Et le doute - y compris sur l'existence même de Dieu - est non seulement accepté, mais même encouragé.

© Éditions du Marais