L'auteur est agent de recherche au Groupe de recherche MéOS (Médicament comme Objet Social) et doctorant en sciences humaines appliquées, spécialisation bioéthique, à l'Université de Montréal.

Un article paru mercredi dans La Presse rapportait les critiques de la Coalition Priorité Cancer selon laquelle l'Institut national d'excellence en santé et en service sociaux (INESSS) donnerait trop d'importance aux critères économiques dans l'évaluation des anticancéreux. Il est très facile et confortable de défendre l'accessibilité à tout prix. Personne n'est contre la vertu. Malheureusement, la réalité est beaucoup plus complexe.

Parmi toutes les dépenses de santé au Canada, celles consacrées aux médicaments sont, après les hôpitaux (qui comprennent elle-même les dépenses en médicaments dispensés dans les établissements), les deuxièmes en importance et celles qui augmentent le plus rapidement (avec un taux de croissance annuel moyen de 10%). Dans ce contexte, le contrôle des dépenses en médicaments est devenu, avec raison, une préoccupation majeure.

Lorsqu'il s'agit de déterminer l'ensemble des médicaments qui seront remboursés par les régimes publics, les décideurs doivent trouver un équilibre entre différents objectifs en tension: l'accessibilité, l'efficience, l'équité et la pérennité.

Rechercher l'efficience, c'est prendre en compte le rapport entre les coûts et les bénéfices des médicaments. C'est utiliser l'argent des contribuables de manière responsable et optimale, s'assurer qu'on en a pour notre argent. Rechercher l'équité, c'est allouer les ressources équitablement entre les groupes de patients atteints de différentes maladies. Assurer la pérennité du régime d'assurance médicament, c'est contrôler l'augmentation des dépenses de manière à ce que les générations futures aient eux aussi accès aux médicaments essentiels.

Les oncologues et la coalition veulent un modèle comme celui de la Colombie-Britannique. En C.-B., les anticancéreux ont un statut privilégié. L'évaluation des anticancéreux ne se fait par la même agence que les autres médicaments. Elle est réalisée par le centre d'excellence en oncologie BC Cancer Agency (BCCA).

Cela a un impact sur les autres objectifs de l'assurance publique. Le BCCA inscrit à peu près tous les anticancéreux, dont certains sont très peu efficients. Par exemple, Erbitux (cancer colorectal) coûte autour de 150 000$ par année de vie (ajustée par la qualité) et apporte en général moins de deux mois de survie. De plus, il existe en C.-B. une grande iniquité entre les personnes atteintes de cancer et les autres groupes de patients en termes d'accessibilité. D'une part, l'offre de médicaments de BC PharmaCare est beaucoup plus restrictive que celle de BCCA. Mis à part les anticancéreux, la C.-B. n'a pas la réputation d'offrir une couverture médicament très étendue. D'autre part, alors que les personnes atteintes de cancer profitent de la gratuité totale de leurs médicaments par l'entremise de BCCA, les autres doivent payer une contribution pouvant aller jusqu'à 4% de leur revenu familial brut (Fair PharmaCare).

Par ailleurs, il faut rappeler qu'il n'existe pas de régime d'assurance médicaments public au Nouveau-Brunswick et à l'Île-du-Prince-Édouard. Que des personnes sans assurance privée sont conduites à la faillite. Qu'en Ontario, ne sont éligibles au régime public que les personnes assistées sociales, âgées, ou ayant des dépenses exceptionnellement élevées en médicaments. Par conséquent, plusieurs Ontariens ne sont pas assurés.

Le régime d'assurance médicaments du Québec est l'un des plus généreux au Canada avec une offre très étendue et variée de médicaments. Il est aussi économiquement très accessible. Ceci est rendu possible grâce à une utilisation efficiente des ressources.

Cependant, les attaques répétées des groupes de pression (et de l'industrie pharmaceutique qui les soutient financièrement) pour rembourser tous les médicaments sans égard pour les coûts et l'importance des bénéfices menacent le caractère public, équitable et durable du régime québécois.