Imprévisible, l'économie incorpore une quantité infinie de facteurs que nul cerveau et nulle théorie ne sauraient inclure.

Par temps d'orage, chacun est en quête des prévisions : mais prévoir est un exercice aléatoire surtout lorsqu'il s'agit de l'avenir. À l'appui de ce dicton attribué à Woody Allen, la Bourse et la conjoncture économique sont les meilleures preuves.

Au terme d'expériences répétées, le Wall Street Journal, à New York, a souvent comparé les résultats de placements gérés par des professionnels avec un portefeuille sélectionné au hasard : dans tous les cas de figure, les résultats ont été identiques. En d'autres termes, nul ne peut «battre le marché», fut-il expert.

Les experts sont encore plus décevants lorsqu'ils anticipent sur la conjoncture. Daniel Kahneman, psychologue de formation et prix Nobel d'économie en 2002, a pour spécialité de tester les prévisions et ceux qui les font. Les conclusions de ses expérimentations (relatées dans Thinking, Fast and Slow, à paraître) sont accablantes: Kahneman a maintes fois illustré combien les experts, économistes et politologues en tête, se trompaient plus souvent que le commun des mortels : en moyenne, les prophètes de l'économie et de la politologie ont tout faux six fois sur dix, dépassant les lois de la statistique qui voudraient que l'on ne se trompe qu'une fois sur deux.

Si les experts se trompent plus qu'il ne serait normal, selon Kahneman, c'est qu'ils sont prisonniers de théories et modèles figés qui les rendent incapables d'absorber des informations nouvelles et les changements du monde.

Ce ne sont donc pas les experts qui sont condamnables, mais ceux qui les interrogent: on devrait admettre que l'économie est imprévisible par définition parce qu'elle incorpore une quantité infinie de facteurs que nul cerveau et nulle théorie ne sauraient inclure.

L'expert, ajoute Kahneman, n'en est pas déconsidéré pour autant parce qu'il témoigne d'une remarquable capacité à justifier son erreur après que celle-ci a été constatée: l'expert médiatisé se reconnaît, non par sa capacité de prévoir, mais  par celle d'expliquer pourquoi il n'y est pas parvenu.

Il n'empêche que la Bourse et l'économie obéissent tout de même à quelques lois: celles-ci ne permettent pas de prévoir à court terme, mais elles autorisent des anticipations assez fiables à long terme. Un cours de Bourse tôt ou tard, sur une période de quelques années, finit par coïncider avec un multiplicateur du profit de l'entreprise cotée.

Pareillement, il existe une relation stable et démontrable, à moyen terme, entre l'innovation et la croissance. Depuis deux siècles, de la machine à vapeur à la fracturation du gaz de schiste et à la tablette électronique, tout progrès technique s'est toujours traduit par un développement économique au profit d'un nombre croissant d'êtres humains. Ce progrès étant cumulatif - plus on cherche, plus on trouve - les pays occidentaux, plus le Japon et la Corée du Sud, disposent en réserve aujourd'hui d'un gigantesque trésor d'innovations encore inexploitées. Le couvercle reste clos parce qu'investisseurs et entrepreneurs attendent que les politiques économiques se stabilisent en Europe et aux États-Unis. Mais, à terme, disons entre trois et cinq ans, il est prévisible que ces brevets se transformeront en produits et en services qui restaureront le «trend» de croissance mondiale.

Par-delà les crises conjoncturelles, la croissance est donc toujours déterminée par deux moteurs: la démographie et l'innovation. L'économie progresse quand la population augmente et parce que l'innovation améliore la productivité. Une bonne politique économique  est celle qui favorise la puissance de ces moteurs. Ce pourquoi les pessimistes ont souvent raison dans le court terme, tandis que dans le long terme, les optimistes l'emportent.