Astrid a une biographie, aussi courte soit-elle.

Il y a deux mois, j'étais enceinte de notre deuxième enfant, dont la naissance était prévue pour le 13 août. J'étais folle de joie à l'idée de l'allaiter, le bercer, l'embrasser, m'en occuper. Son petit nid était prêt. Il ne manquait que lui!

Le 13 août, notre bébé a préféré le confort de mon utérus à sa naissance. Ce bébé était en pleine forme, répondait à mes caresses et réagissait à la voix de son papa.

Le 16 août, mon ventre gros comme la terre bougeait toujours au rythme de sa haute voltige. Mais le matin du 17, rien. Pas de salutation au soleil.

Craignant le pire, nous nous sommes rendus à l'hôpital. «C'est pas des bonnes nouvelles.» Voilà comment nous avons appris que le coeur de notre bébé avait cessé de battre dans mon ventre le matin même, après 40 semaines et trois jours d'une grossesse parfaitement saine.

Suivant à la lettre tous les conseils des livres de grossesse et ayant déjà donné naissance à la 8e merveille du monde (notre aînée!), j'étais naïvement convaincue d'être à l'abri d'une telle tragédie. Je m'étais trompée.

J'ai donc accouché d'Astrid, notre étoile filante. Son papa l'a accueillie, lavée et habillée. Il l'a bercée sans la quitter des yeux. Astrid était parfaite: 50 cm et 3,3 kg, de grands yeux et des lèvres en forme de coeur.

Quelques jours plus tard, toujours sous le choc, j'ai téléphoné au service à la clientèle du Régime québécois d'assurance parentale (RQAP) pour connaître le nombre de semaines de prestations auquel nous aurions droit pour entamer notre remise sur pied.

- Mon bébé est mort-né. À combien de semaines de prestations ai-je droit?

- 15 à 18 semaines, madame.

- Mon mari a-t-il droit à des prestations?

- Non, madame, puisqu'il n'y a pas eu de naissance.

- Euh...

Sans m'offrir ses condoléances, la préposée a raccroché en me souhaitant une excellente fin de journée?! Quelques jours plus tard, son collègue m'a contactée afin d'obtenir le bulletin de mortinaissance d'Astrid.

- Désolé de vous demander ça madame, mais l'État civil ne nous communique pas l'information des bébés comme la vôtre parce qu'elle n'est pas vraiment née.

- Pardon ?

- Madame, votre bébé n'est pas vraiment née, vous savez.

- Euh...

Bien que nous aurions apprécié que la paternité de mon mari soit reconnue au même titre que ma maternité, son employeur a été si compréhensif que nous n'avons pas souffert de cet écueil législatif. Par contre, l'insistance inutile des préposés du RQAP sur le vocabulaire à employer pour parler d'Astrid a écorché davantage ma plaie ouverte.

Encore ankylosée par l'après-midi passé sur le ballon d'exercice de la salle d'accouchement, les seins regorgeant du lait que mon corps produisait pour Astrid, je venais de ranger, en larmes, ses pyjamas sentant bon la lavande. Notre fille, pas «vraiment née»? Mon corps n'était pas d'accord.

Au Canada, environ 6 bébés sur 1000 meurent dans le ventre de leur mère chaque année. Il n'y a pas de mots pour décrire le chagrin des parents qui doivent enterrer l'enfant attendu depuis des mois.  Le deuil d'un bébé à naître, c'est le deuil de la vie qu'on planifiait passer avec cet enfant. C'est un deuil du quotidien, qui se pleure très longtemps.

Entendre les préposés du RQAP insister sur le fait que ma petite Astrid n'était pas «vraiment née» a contribué à ma peine en me faisant sentir complètement incomprise. Dans leur bouche, c'est comme si Astrid n'avait pas existé. Pourtant, rien n'est plus faux. Astrid a une biographie, aussi courte soit-elle.

Neuf semaines après la naissance d'Astrid, j'invite humblement les préposés du RQAP (normalement sympathiques et toujours efficaces) à choisir les mots qu'ils emploient lorsqu'ils s'entretiennent avec les six mères sur 1000 ayant accouché d'un bébé mort dans les jours précédant leur appel.