L'auteur est professeur adjoint à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en politiques étrangère et de défense canadiennes de l'UQAM.        

La guerre en Libye est maintenant terminée, du moins celle dans laquelle sont engagés les Occidentaux, avec la mort du dictateur Mouammar Kadhafi. Selon le ministre des Affaires étrangères, John Baird, «la mission autorisée par les Nations unies pour protéger les civils libyens contre le régime Kadhafi a manifestement réalisé son objectif». Le ministre n'a pas tout à fait raison.

Le principe de la responsabilité de protéger, sur lequel repose le bien-fondé moral et légal de la guerre en Libye, intègre bien plus que le recours à la force militaire de manière à prévenir ou stopper les violations graves des droits de la personne. Il requiert, de la part des Occidentaux, une tâche bien plus difficile: la consolidation d'une paix qui demeure très fragile.

Devant les divisions entre les nombreuses factions rebelles, leur désorganisation et l'absence d'institutions de gouvernance nationale, l'ampleur de la reconstruction nécessaire dans l'après-Kadhafi est colossale. Surtout si les Occidentaux souhaitent y voir s'installer une société libre et démocratique.

Déjà, des difficultés apparaissent. Le Conseil national de transition (CNT) souhaite imposer la loi islamique, quoique de manière modérée. Il a demandé à l'OTAN - ce qui inclut le Canada - de demeurer en Libye afin d'empêcher le chaos assuré suivant son retrait. Une décision est ainsi attendue cette semaine par les alliés occidentaux quant à leur volonté de poursuivre la mission au-delà de sa fin prévue au 31 octobre.

En l'absence de troupes étrangères sur le sol libyen, il est à craindre que les différentes factions libyennes n'entrent dans une période de troubles violents. Car la Libye ne dispose pas d'une armée nationale et les rebelles ne sont désormais plus unis par une cause commune: le renversement du régime de Kadhafi.

La mission d'appui des Nations unies en Libye (MANUL) n'est donc pas terminée, comme le laisse entendre M. Baird. Au contraire, la mission devra s'acquitter de plusieurs des tâches difficiles. Il s'agit de rétablir l'ordre et la sécurité publique, de favoriser une concertation politique et une réconciliation nationale, de rédiger une constitution et d'organiser un processus électoral, de défendre les droits de la personne et de soutenir la mise en place d'une justice transitionnelle.

Dans quel climat, violent ou pacifique, s'effectueront ces tâches? Et qui, précisément, contribuera à la mission de l'ONU? Il est impossible d'exclure la présence nécessaire de troupes militaires occidentales capables d'imposer l'ordre par la force. Cela n'est d'ailleurs pas étranger à la demande formulée auprès de l'OTAN, plutôt que de l'ONU, de demeurer en Libye. Il est cependant difficile de voir comment de seules patrouilles aériennes pourraient être suffisantes pour réussir une transition pacifique.

Quatrième contributeur aux efforts militaires ayant mené à la chute de la dictature libyenne, le Canada a le devoir de s'assurer de la reconstruction de la Libye post-Kadhafi.

Ceci pourrait être autant à travers une mission militaire de l'OTAN que par l'entremise d'un engagement diplomatique crédible et substantiel auprès de la MANUL. Le gouvernement Harper a offert une aide de $10 millions seulement en vue de démilitariser et de démocratiser la Libye. Il s'agit d'une contribution bien mince vis-à-vis de l'ampleur de la tâche qu'a l'ONU, de même qu'en comparaison des revenus que pourront tirer SNC-Lavalin et Suncor en Libye.

Alors que la mission de combat en Afghanistan est terminée, le gouvernement Harper ne dispose plus d'une mission internationale pouvant mobiliser sa politique étrangère. Si la guerre en Afghanistan a permis de redorer l'image du Canada comme puissance militaire, il est à espérer que la guerre en Libye permettra de redorer celle d'un Canada comme puissance diplomatique et panser les plaies de l'échec au Conseil de sécurité le printemps dernier. Dans cette perspective, et devant l'ampleur des défis de l'après-Kadhafi, il est beaucoup trop tôt pour crier mission accomplie.