Le 21 octobre, en m'apprêtant à voter pour élire les membres de l'assemblée constituante, chargée de jeter les premiers jalons de la nouvelle Tunisie, je me suis senti fébrile et débordant d'enthousiasme.

Pour la première fois de ma vie, j'allais participer à des élections dignes de ce nom, transparentes et non truquées, et dont le vainqueur n'était pas connu d'avance. Et j'en étais fier!

Autour de moi, au bureau de vote, des jeunes et des moins jeunes étaient tout aussi enchantés de savourer le début d'une ère démocratique pour ce pays qui n'a connu que les dictatures depuis son indépendance.

Mais à l'annonce des résultats préliminaires, ce fut le choc : le parti islamiste Ennahdha est sorti grand vainqueur, raflant environ 40 % des sièges en jeu. Pour celles et ceux qui aspiraient à un pays libre, moderne et progressiste, les moments enivrants vécus lors des élections se sont transformés en une horrible gueule de bois. Et le spectre d'un régime extrémiste, qui confond État et religion, est devenu une triste réalité.

Ce soi-disant parti «modéré» - un euphémisme jamais clairement défini et qui n'a pour but que d'embellir l'image autrefois ternie de ce groupe radicalisé - incarne l'antithèse même de la modération. Les discours tenus par ses partisans, aussi maquillés soient-ils, trahissent le non-respect des droits individuels, le mépris de la femme et la haine de l'Occident.

Je suis terriblement inquiet pour l'avenir de la Tunisie. Malgré plus d'un demi-siècle de dictature sous les régimes de Bourguiba et Ben Ali, ce pays a toujours été ouvert, accueillant et chaleureux. Comparé aux autres pays arabes, la Tunisie était considérée comme un havre de paix, attirant des millions de visiteurs, touristes et investisseurs, à travers les années. La liberté d'expression y était opprimée et la corruption y sévissait, certes, mais personne n'y était persécuté au nom de la religion. Et personne n'osait s'improviser missionnaire pour prêcher la parole de Dieu.

Sur le plan économique, la finance islamique, un des canulars les plus notoires du XXIe siècle, est demeurée marginale, l'essentiel des transactions financières ayant lieu auprès des banques conventionnelles. Aujourd'hui, tout cela risque de changer.

L'image de la Tunisie risque désormais d'être peu reluisante, ce qui est de mauvais augure pour un pays dont l'économie dépend si lourdement de son ouverture. Mais pire encore, la laïcité semble désormais un rêve bien lointain.

Qu'on ne méprenne pas mes propos. Je ne suis pas mauvais perdant. Je ne conteste pas la légitimité politique d'Ennahdha, puisque c'est le peuple, mon peuple, qui la lui a conférée. Quand on accepte de jouer le jeu de la démocratie, il faut savoir accepter la défaite.

N'empêche qu'aujourd'hui, j'ai le douloureux sentiment que nous avons manqué notre rendez-vous avec l'Histoire, et qu'à cause de cela, je me sens amèrement déçu et, hélas, un peu moins fier.