Faut-il cette année convier le monstre de la surpopulation à la fête d'Halloween? La question se pose alors que les Nations unies ont annoncé qu'aujourd'hui, le genre humain franchirait la barre des 7 milliards de représentants. Il y a bien là un potentiel de frayeur: peut-être les Terriens deviennent-ils trop nombreux pour leur planète, certes accueillante, mais aux ressources limitées? Peut-être. Tout dépend d'une autre vilaine créature, autrement plus terrifiante: la surconsommation.

Ultimement, l'impact environnemental de l'humain dépend du niveau de sa consommation de ressources naturelles et de sa production de déchets. Schématiquement, on peut se représenter cet impact comme étant fonction de deux variables: le nombre de consommateurs et la consommation effectuée par chacun de ceux-ci. Une plus grande population ou une population de consommateurs plus gourmands signifie donc un plus grand impact environnemental. Voilà donc les deux grands leviers avec lesquels jouer si l'on souhaite limiter la dégradation de l'écosystème planétaire. Or, c'est la gourmandise des consommateurs plutôt que leur nombre qui représente le principal défi écologique de notre temps.

Mesurer l'«empreinte écologique» de l'activité humaine, soit la surface biologiquement productive de terre et d'eau nécessaire à un certain mode de vie, permet de s'en rendre compte. On réalise ainsi qu'entre 1961 et 2007, l'Amérique du Nord (États-Unis et Canada) a vu sa population augmenter de quelque 39%, alors que son empreinte écologique, elle, a bondi de 160%.

C'est donc dire que la spectaculaire progression de l'impact environnemental des Nord-Américains durant cette période est attribuable d'abord et avant tout à une hausse de la consommation de ressources par personne plutôt qu'à celle de la population. Avec pour résultat qu'en 2007, l'Amérique du Nord comptait pour 5% de l'humanité, mais pour 17% de son empreinte écologique.

Or, c'est à un mode de vie de ce genre qu'aspire la majeure partie du reste du monde. Le défi écologique est là: à 7 milliards de Nord-Américains, la Terre serait effectivement surpeuplée.

Mais, si la croissance démographique cause moins problème que celle de la consommation per capita, n'augmente-t-elle pas néanmoins la pression qu'exerce l'humain sur son environnement? Les choses ne seraient-elles pas tellement plus simples dans un monde moitié moins peuplé? Assurément. Sauf que les 7 milliards d'humains qui sont déjà là ne déménageront pas et qu'ils ont déjà largement commencé à s'attaquer au problème démographique : dans les 60 dernières années, le nombre d'enfants par femme est passé d'environ 6,0 à 2,5. Les prévisions à long terme doivent être considérées avec prudence, mais cette tendance lourde laisse espérer un monde où la population continuera de croître de moins en moins vite, jusqu'à l'atteinte d'un plateau avoisinant les 10 milliards d'habitants vers 2100.

Si tout n'est pas rose du côté de la croissance démographique, le tableau se noircit considérablement lorsqu'on considère la croissance de la consommation, laquelle ne montre pas les mêmes signes d'essoufflement. Virtuellement tous les pays du monde, même les plus riches, visent une croissance économique maximale et sans fin. Seulement d'ici 2050, la taille de l'économie mondiale pourrait tripler. En fait, contrairement à celle de la population, l'augmentation de la production économique devrait aller en s'accélérant: à l'horizon 2050, le taux de croissance de l'économie mondiale pourrait approcher les 3%, comparativement à son niveau légèrement au-dessus des 2 % au cours des années 2000. Mais ce n'est qu'un début. En 2050, malgré une croissance fulgurante, le revenu par habitant en Chine ne représentera peut-être que 32 % de celui des États-Unis, qui aura crû lui aussi - «les possibilités de croissance additionnelle seront  substantielles», dixit la banque HSBC.

Encore une fois, il faut prendre ce type de prévision avec un grain de sel, mais la tendance est clairement inquiétante du point de vue écologique. De meilleurs modes et techniques de production ont le potentiel de rendre la croissance économique future moins polluante que celle d'hier. Cependant, il n'en demeure pas moins qu'elle sera davantage alimentée par une hausse du revenu par habitant - l'équivalent d'un «permis de consommer» - que par celle du nombre de «bouches à nourrir» et qu'elle mènera à une forte croissance de l'impact environnemental de l'humain. Surtout, alors que le bébé-boom est derrière nous et que la fin de la hausse de l'effectif de l'humanité peut au moins être espérée, aucune halte à la croissance économique n'est même envisagée.

Il convient de préciser en quoi il importe d'insister davantage sur la surconsommation que sur la surpopulation. Après tout, ne peut-on pas s'attaquer simultanément aux deux problèmes?

En principe, oui, et les efforts internationaux en matière de planification des naissances, tant qu'ils ne dérivent pas vers l'autoritarisme de la politique chinoise de l'enfant unique, sont louables. En fait, laisser aux femmes le contrôle de leur corps, améliorer leur accès à l'éducation et d'autres mesures qui favorisent la baisse de la natalité se justifient en elles-mêmes, quelles que soient leurs répercussions écologiques. Voilà bien ce qu'il y a de rassurant dans le dossier démographique : on sait à peu près ce qui peut être fait pour le gérer au mieux possible et il existe une volonté d'y arriver.

Ce n'est pas le cas du dossier de la consommation et c'est pourquoi il faut en faire une priorité. Les plans d'action font défaut et, en vérité, rares sont ceux qui voient l'enrichissement infini d'un mauvais oeil. Il faut dire que ralentir le train de vie de l'humanité sans enfermer les pauvres-qui-font-des-enfants dans la misère nécessiterait certains sacrifices des riches-qui-n'en-font-plus: ce monstre-là est plus que terrifiant, il est pétrifiant.