L'identité québécoise n'a jamais été aussi incertaine qu'aujourd'hui. Si j'étais présent lors de la «crise» des accommodements raisonnables et la Commission Bouchard-Taylor, j'ai depuis lors quitté le territoire québécois pour aller étudier à Genève, en Suisse. Ce retrait m'a mis en contact avec de nouvelles perspectives sur l'identité collective... et permis de prendre le recul nécessaire pour bien saisir le malaise collectif du peuple québécois.

Deux visions, jusqu'ici opposées, s'affrontent. D'une part, un patriotisme profondément ancré dans le coeur des Québécois, porté par la langue française qu'on chérit et qu'on protège avec raison, par une culture vibrante et dynamique, par une société civile active et alerte. Mais ce nationalisme dérive trop souvent vers l'exclusion, vers un «Nous» qui, malgré ce qu'on veut se faire croire, ne tolère pas vraiment la diversité. En conséquence, le peuple québécois a tendance à se replier sur lui-même, à se fermer à l'autre, au monde. La fierté d'être québécois, bien sûr, mais surtout entre nous.

De l'autre côté, les jeunes générations en tête, on devient des citoyens du monde: on apprend des langues étrangères, on voyage, on s'intéresse à la politique et à la culture de toutes les nations. Le cercle d'amis compte très souvent des néo-Québécois, dont on apprécie l'apport. On est écologiste, équitable, solidaire: tous les êtres humains ont la même valeur, peu importe leur origine, leur religion, leur orientation sexuelle, etc. Pour les tenants de cette vision, la diversité est une richesse pour le Québec. Mais comme ceux qui, traditionnellement, revendiquent haut et fort la fierté d'être Québécois transmettent souvent un message d'exclusion, de repli sur soi, on ne se dit plus fiers d'être Québécois, de peur d'être assimilé à un nationalisme d'exclusion, qu'on trouve négatif, qu'on déteste et qu'on rejette.

C'est le combat classique entre le nationalisme et le cosmopolitisme, entre le patriotisme et l'universalisme. On est soit fier citoyen de chez-soi, soit un citoyen du monde: pas les deux à la fois, semble-t-il. Et la société québécoise n'échappe pas à cette opposition... pourtant artificielle! Il est maintenant temps de changer de perspective et de réunir fierté d'être québécois et ouverture.

Et si être fiers d'être des Québécois signifiait désormais intrinsèquement être ouverts sur le monde et apprécier la richesse de sa diversité? Et si une société québécoise fière de ses gens voudrait fondamentalement dire que, peu importe d'où nous et nos parents venons, peu importent nos croyances personnelles, nous faisons tous partie de la nation québécoise, rassemblés autour d'une langue riche et magnifique, d'une culture vibrante et d'institutions laïques qui nous représentent tous dignement et équitablement? Et si le terme « citoyen québécois » devenait dans son essence même synonyme de «citoyen du monde»? Et si nous décidions de réhabiliter la fierté d'être québécois parce que cela signifierait ouverture, diversité et solidarité?

Je rêve d'un Québec où ce paradoxe entre la fierté nationale et l'ouverture sur la diversité et la beauté du monde s'estompera. Je rêve d'une nation québécoise où la question ne sera pas seulement de savoir quel Québec nous voulons, mais également «Dans quel monde voulons-nous vivre, et comment le Québec peut-il contribuer à le transformer?». Je rêve d'une société où les Québécois seront fiers à la fois de leurs racines et de leurs ailes.