Je suis une infirmière bachelière, diplômée en janvier 2001. Quand je suis sortie de l'université, il y avait déjà une pénurie d'infirmières. Pourtant, les seuls postes qu'on offrait aux infirmières étaient des postes à temps partiel (8/15), sur équipe volante.

Comme je démontrais beaucoup d'intérêt pour le bloc opératoire, l'hôpital Notre-Dame m'a proposé de me former à temps plein. Pendant une année, j'ai reçu une excellente formation, mais impossible d'y avoir un poste permanent à cause d'une ancienneté insuffisante.

J'y ai travaillé deux ans et demi. J'adorais mon travail. Rarement malade, toujours disponible pour des heures supplémentaires (qui ne sont jamais obligatoires en salle d'op), mais je n'étais toujours pas titulaire d'un poste. Je n'étais pas la seule dans ce cas.

Peu de temps après, j'ai décidé de réaliser un vieux rêve et d'aller travailler en Suisse. Je n'avais rien à perdre: au Québec, pas de poste et 63e sur 64 infirmières à choisir mes vacances... Pourtant, si j'avais eu un poste à temps plein, jamais je n'aurais quitté le Québec.

Cela va faire sept ans à l'été que je suis en Suisse. La Suisse n'est pas le milieu parfait. Professionnellement, je me sens un peu frustrée. Je sens que j'aurais plus de possibilités de carrière au Québec. Par contre, côté conditions, rien à envier au Québec. Je crois que le fait qu'il n'y ait pas de syndicat y est pour quelque chose.

Premièrement, pas question que ce soit la personne la plus ancienne qui choisisse ses vacances en premier. Tout le monde a le droit d'avoir des vacances à tout moment. Il faut juste s'arranger pour ne pas dépasser un certain quota. J'ai toujours trouvé que cela était une aberration au Québec: quand les gens ont assez d'ancienneté pour choisir les semaines de relâche, leurs enfants ont 15 ans et ne veulent plus partir en vacances avec leurs parents! Ici, les femmes sans enfant vont généralement éviter les relâches. Ça ne prend pas 20 ans à une infirmière pour avoir des vacances en plein été, contrairement au Québec.

Deuxièmement, les heures supplémentaires n'existent pas vraiment ici. On a un quota d'heures à faire par mois en fonction des jours ouvrables. Si, un mois, on te fait travailler plus que ce que tu dois faire, tu te retrouves en positif et le mois suivant, on te fait travailler moins pour rééquilibrer. Dans le fond, les heures supplémentaires ne sont pas payées, mais remises en temps.

Jamais on ne demandera à une infirmière de faire un quart de huit heures supplémentaires. Je suis déjà restée quelques heures de plus, mais c'était pour terminer une chirurgie et jamais on ne m'y a forcée. Pouvez-vous vous imaginer comment se sent une jeune mère, de ne pouvoir récupérer son enfant à la garderie, car on la force à rester au travail? Dans n'importe quel autre milieu, qui accepterait de travailler deux quarts de travail, et ce, sur une base régulière? Les infirmières ont aussi droit à une vie privée!

Troisièmement, ici, tout le monde fait des nuits. En les répartissant sur toute une équipe, cela n'en fait que quelques-unes par mois. Certains préfèrent en faire plus, d'autres moins, mais cela est négociable. Croyez-vous que c'est réjouissant pour une infirmière fraîchement diplômée de savoir que pour environ 10 ans, elle ne sera que de nuit? Et si on veut une vie de famille, comment concilier cela? Je vous dirai qu'ici, une majorité d'infirmières aime faire des nuits, car une prime y est liée, ainsi qu'une compensation en temps (20%). Et un règlement dit qu'une infirmière qui a plus de 50 ans a le droit de refuser de faire des nuits. À mon avis, cette façon de faire est excellente.

Mais syndicalement, au Québec, ça ne pourrait pas passer: jamais les infirmières avec plus de 15 ans d'ancienneté n'accepteront de se remettre à faire des nuits. C'est dommage, car cela permet de répartir l'expérience sur plusieurs quarts de travail. Cela permet le transfert des connaissances: actuellement, les jeunes ne travaillent qu'entre elles la nuit au Québec.

Quatrièmement, les salaires sont plus élevés ici. Bien entendu, le coût de la vie est plus élevé, mais les impôts sont plus bas et à la fin du mois, il m'en reste plus pour économiser.

Par contre, ce qu'il y a de bien au Québec, c'est le congé de maternité d'une année. La Suisse, avec ses 16 semaines, n'est pas très «sociale». On a droit à un cinquième mois si on allaite. Selon le centre hospitalier, on peut prendre un congé non payé. Lors du retour au travail, on peut diminuer notre pourcentage de travail comme on veut.

Il n'y a pas si longtemps, j'ai envisagé de rentrer au Québec pour trouver de nouveaux défis professionnels. Mais lorsque je regarde les conditions et le salaire de crève-faim des infirmières, je ne suis pas sûre du tout d'avoir envie de vivre ça!