Le drame irlandais nous interpelle à plus d'un titre. L'Irlande, c'était la preuve que des politiques éclairées pouvaient sortir un peuple de sa pauvreté historique. L'Irlande, c'était la preuve que l'Europe, ça marchait!

Or voilà que l'Irlande doit aujourd'hui emprunter auprès de ses partenaires européens ainsi que du FMI l'équivalent de 26 000$ pour chacun de ses habitants et s'engager, dans l'espoir de rembourser cette somme, à des années d'austérité budgétaire dans une société pourtant déjà affligée par une récession interminable.

L'Irlande n'était pourtant pas la Grèce. Elle n'avait rien commis qui puisse susciter l'ire de la très laborieuse et épargnante Allemagne. Le grand péché du gouvernement irlandais aura été le même que celui de beaucoup de gouvernements, à commencer par celui des États-Unis. L'Irlande a laissé ses banques prendre des risques insensés, et au moment où la facture de leurs paris est arrivée, elle les a rescapées de la faillite en y engageant le trésor public. Pour une petite nation de 4,5 millions d'habitants, la dette s'avère maintenant bien trop lourde à porter.

Les États-Unis peuvent s'offrir le luxe de rembourser leurs obligations en en émettant de nouvelles qui ne rapportent à peu près rien. La Chine, qui résiste à l'augmentation de la valeur de sa monnaie, répond encore présente à chaque nouvelle émission. L'Irlande n'a pas cette chance. Elle doit payer la facture maintenant, pas dans 10 ans.

L'Irlande n'est pas non plus un État américain, lequel aurait, dans un premier temps, laissé Washington procéder lui-même au sauvetage des banques pour ensuite l'aider à boucler ses fins de mois à l'aide du budget fédéral. L'Irlande est membre de l'Union européenne, et l'Union européenne est tout sauf une fédération.

Au sein de l'Union européenne, chaque État est responsable de ce que font ses banques et il n'y a pas de budget «fédéral» significatif qui puisse soutenir les États en difficulté. Les transferts entre États, extrêmement limités en temps normal, font l'objet d'âpres négociations entre États souverains en temps de crise. En pratique, cela se traduit par beaucoup de chacun pour soi.

La presse et les politiciens posent souvent la question en ces termes: pourquoi les contribuables allemands devraient-ils payer pour les difficultés des Grecs, des Irlandais ou des Portugais? Les marchés sont sceptiques et servent aux pays jugés vulnérables un verdict impitoyable, un taux d'intérêt tellement élevé sur les emprunts qu'il rend impossible toute croissance économique.

Quelles sont, dans un tel contexte, les voies se sortie qui s'offrent à l'Irlande et à l'Europe? Écartons, à court terme, la possibilité d'un approfondissement de l'union politique qui permettrait à l'Europe de migrer vers un modèle véritablement fédéral. Les enjeux de souveraineté que cela suppose sont beaucoup trop grands pour qu'une telle évolution se produise à la même vitesse que les marchés produiront de nouvelles crises financières. L'Europe peut aussi continuer d'éteindre les feux un à un mais elle aura tôt fait d'épuiser les ressources qu'elle est prête à destiner à cette fin.

Ultimement, l'Irlande, ainsi que la Grèce et peut-être même d'autres pays européens actuellement dans la mire des marchés financiers, devront sans doute transférer une part beaucoup plus grande des coûts aux créanciers qui leur ont prêté.

Pour certains, cela pourrait signifier la fin de l'union monétaire européenne. Cela n'est pas certain. L'euro, qui sera nécessairement malmené par les développements à venir, perdra de la valeur, ce qui assurera une plus grande compétitivité internationale à l'ensemble des pays de la zone.

On ne peut pour autant garantir que certains pays, incapables de rétablir la croissance même après la restructuration de leur dette, ne seront tentés par la réintroduction de leur monnaie nationale. Ce que la crise actuelle illustre est que l'union monétaire est peut-être possible sans Europe fédérale mais qu'elle aurait beaucoup plus de chances de succès avec elle.