Nos lois du travail sont les plus contraignantes à l'égard des employeurs en Amérique du Nord. N'y a-t-il pas une limite à pousser le déséquilibre?

Dans une chronique du 2 décembre 2010, Vincent Marissal déplore que la Loi antibriseur de grève (adoptée en 1977) ne soit pas mise à jour indépendamment du reste du Code du travail et incite les élus à s'ingérer dans un conflit privé, soit celui du Journal de Montréal, en transgressant le «tabou» des scabs virtuels et en prenant totalement fait et cause pour le syndicat.

Le véritable tabou ne serait-il pas l'incapacité de la forte majorité des membres de la «corporation» journalistique et leurs sympathisants d'avoir un regard critique et lucide sur le comportement de ses collègues syndiqués qui, forts de leurs conditions de travail (parmi les meilleures sinon les meilleures en Amérique du Nord) et de la protection de leur convention collective, se sont montrés insensibles à la situation de l'industrie en général et de leur employeur en particulier, refusant même avant le début du conflit un règlement analogue à celui du Journal de Québec?

Que depuis ce temps la situation de l'industrie se soit détériorée et que les solutions soient plus draconiennes, cela fait partie des risques inhérents à un conflit de travail qui perdure. Peut-être serait-il temps de reconnaître une réalité québécoise: Pierre Karl Péladeau a réussi à faire prendre un virage à Quebecor et, au prix d'un important conflit de travail, à transformer Vidéotron en locomotive. Que serait Quebecor aujourd'hui s'il ne l'avait pas fait? N'y a-t-il pas d'importantes leçons à tirer de cela? N'est-il pas légitime de vouloir assurer la viabilité et la prospérité de son entreprise?

Une autre réalité est le fait que le Québec est la seule juridiction en Amérique du Nord (notre espace économique principal) où existent des dispositions aussi poussées concernant les briseurs de grève. La législation à cet égard est l'exception. En Europe, où la trame législative est différente, cela n'existe pas. Globalement, nos lois du travail sont les plus contraignantes à l'égard des employeurs en Amérique du Nord. N'y a-t-il pas une limite à pousser le déséquilibre? Si, comme M. Marissal l'écrivait, une partie du Code du travail doit être modernisée d'urgence, ne devrions-nous pas y prévoir un équilibre? Ainsi, s'il y a de la violence, si les grévistes ou lock-outés reçoivent des fonds de grève, s'ils travaillent ailleurs, s'ils entrent en compétition avec leur employeur, s'ils le boycottent, l'interdiction d'utiliser des briseurs de grève ne devrait-elle pas être levée? Pourquoi les employeurs seraient-ils les seuls à supporter les sanctions économiques lors d'un conflit?

Quant au reste du Code du travail, pourquoi ne pas le moderniser également? Les lois sociales et autres sont devenues un élément important de la compétitivité d'une juridiction. Sans vouloir tout balayer, loin de là, il est permis de penser qu'un juste équilibre est garant d'une plus grande attraction. Ce n'est pas le cas de notre Code du travail actuel.

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M. Munn,

Je répète, au cas où je ne me serais pas exprimé clairement dans la chronique en question, ma position: que l'on passe un piquet de grève physiquement ou virtuellement, le résultat est le même, on se trouve à faire le travail des employés en grève ou, dans ce cas, en lock-out. Au Québec, le gouvernement a légiféré il y a plus de 30 ans pour interdire ce genre de pratique, mais cette loi est maintenant dépassée par les avancées technologiques, ce pourquoi le gouvernement devrait se pencher de nouveau sur la question. Ou on respecte ce principe et on modifie la loi ou on abandonne ledit principe. Dans les deux cas, c'est aux élus de décider. On ne peut pas faire comme si le problème n'existait pas.

Quant à vos propos sur la «corporation journalistique», je vous rappelle que nous avons su, à La Presse, affronter froidement et de façon lucide les changements qui touchent notre industrie par des négociations franches entre l'entreprise et ses syndiqués. Je ne crois pas que mes collègues du Journal de Montréal aient eu ce même avantage. Comme disent les anglophones: il faut être deux pour danser.

Vincent Marissal