La violence exercée à l'endroit des représentants ou des institutions du gouvernement américain n'est pas nouvelle. On peut penser aux attentats perpétrés contre des présidents, mais également au terrorisme intérieur, notamment l'explosion d'un édifice fédéral à Oklahoma City en 1995, ou encore les attaques à l'anthrax de l'automne 2001. La tentative d'assassinat de la représentante démocrate de l'Arizona, Gabrielle Giffords, est la dernière entrée de cette tragique liste.

Les causes de la violence politique sont souvent confuses. Il arrive quelquefois que des personnes psychologiquement instables trouvent dans le gouvernement et ses symboles un exécutoire à leur frustration. Il est encore trop tôt pour scruter les motivations de Jared Lee Loughner, suspect dans la fusillade de samedi. Toutefois, l'examen des traces qu'il a laissées sur l'internet semble indiquer que ce jeune homme en avait contre le gouvernement fédéral, contre la réforme du système de santé et contre le contrôle supposément exercé par le gouvernement sur les citoyens. Au-delà des expertises médico-légales qu'il conviendra de faire pour mieux comprendre les griefs du suspect, que signifie le geste de Loughner dans le contexte actuel de la politique américaine?

D'abord, il faut savoir qu'une dizaine de représentants du Congrès ont reçu des menaces de toutes sortes depuis l'adoption de la réforme sur la santé. Certains d'entre eux, comme Mme Giffords, ont vu leur bureau de circonscription vandalisé. La réforme de la santé a catalysé la grogne et l'insatisfaction de nombreux Américains (seulement 43% d'entre eux la soutiennent), victimes d'une économie qui tarde à créer des emplois. Une dépense telle que l'assurance maladie devient ainsi difficile à comprendre pour ceux qui peinent à joindre les deux bouts. Il faut dire qu'historiquement, les Américains se méfient de l'ingérence du gouvernement fédéral dans les affaires des individus, telles que l'éducation, la santé ou même l'économie. En fait, 80% d'entre eux affirment ne pas faire confiance au gouvernement fédéral pour améliorer leurs conditions de vie (selon un sondage récent du Pew Research Center). Il est donc inconcevable, pour plusieurs d'entre eux, que Washington les oblige à souscrire à quelque programme ou assurance que ce soit, même si c'est «pour leur bien».

Ensuite, et plus grave encore, cette colère est alimentée par les plus farouches adversaires du président Obama, les radicaux du Tea Party et les conservateurs républicains. Par exemple, lors de la campagne en vue des élections de mi-mandat, Sarah Palin avait inséré, sur sa page Facebook, une carte des États-Unis sur laquelle des lignes de mire avaient été dessinées là où un démocrate devait être défait (Giffords faisait partie de ces démocrates). De plus, Palin incitait ses partisans, lors du débat sur la réforme de la santé, à «recharger» plutôt qu'à battre en retraite (remarque diffusée sur Twitter). Évidemment, cela ne prouve pas que les conservateurs de l'Arizona (particulièrement acrimonieux) soient responsables de ce qui est arrivé à Gabrielle Giffords, ni même que Loughner se soit inspiré de ces groupes pour commettre son crime, bien que c'est là ce que laissent entendre les rumeurs. Cependant, cet événement démontre l'urgence de ramener le débat politique à un niveau plus acceptable, davantage respectueux des personnes et des institutions, de même qu'il faut encourager le débat d'idées plutôt que d'opinions. C'est aux politiciens et aux journalistes de le faire, notamment en dénonçant les «cartes de cibles à abattre», même métaphoriques, et autres excès de langage. Mais surtout, en cette ère de cynisme et de mécontentement, en démontrant par l'exemple que les différends politiques peuvent et doivent se régler autrement que par la force des armes.