L'échiquier politique de la République est bouleversé par les accusations d'agression sexuelle portée contre Dominique Strauss-Kahn.

Dominique Strauss-Kahn - «DSK» - accusé de tentative de viol et de séquestration par une femme de chambre d'un hôtel de Manhattan: la France politique et médiatique est sous le choc, abasourdie, et les commentaires vont bon train. Les uns, après un moment d'incrédulité, parlent de coup monté, demandent qui est cette personne qui l'accable; les autres, qui constituent la majorité, en appellent à la retenue, à la présomption d'innocence. Il faut être d'extrême droite, comme Marine Le Pen, pour se dire publiquement sans surprise, et évoquer des rumeurs circulant sur le comportement sexuel du directeur général du FMI depuis fort longtemps.

La lecture de l'évènement, au-delà de l'émotion, est éminemment politique. Le «coup de tonnerre» que constituent ces nouvelles, comme dit Martine Aubry, suscite en effet des interrogations majeures, qui sont dans tous les esprits, même si la sphère politico-médiatique se veut prudente et évite les commentaires trop rapides. Quelques-uns soulignent la catastrophe que constitue cette affaire pour le FMI et pour sa capacité à régler les grands problèmes financiers et monétaires du moment, à commencer par la dette grecque; mais les conversations, privées plus que publiques, portent surtout sur la situation politique française, et sur les implications internes, nationales, du scandale.

On souligne alors qu'au-delà de la personne, c'est son parti, la gauche, et même le pays tout entier qui sont salis par l'inculpation de DSK. Le pouvoir comme la droite sont dans l'ensemble aussi prudents que la gauche dans leurs commentaires.

Quels que soient les résultats de l'enquête, et sauf rebondissement très rapide, DSK ne pourra vraisemblablement pas porter les espoirs du Parti socialiste à l'élection présidentielle de 2012, alors qu'il semblait se préparer à le lancer dans la bataille des «primaires» de ce parti avec de bonnes chances de l'emporter. Le PS en est très affaibli et du coup, les cartes, pour ces primaires, sont rebattues. Ses partisans risquent de devenir orphelins et de se retrouver sans tête de file, et nul ne peut dire encore comment ils vont agir: si DSK n'est pas très rapidement innocenté, vont-ils rejoindre Martine Aubry, qui a remis le PS en état de marche et qui était en relation étroite avec lui, puisqu'ils réfléchissaient ensemble pour savoir lequel des deux était le mieux à même de porter les couleurs de la gauche en 2012? Vont-ils se doter d'un nouveau leader, Pierre Moscovici par exemple? Joueront-ils la carte de François Hollande, candidat déjà déclaré à l'investiture du PS? Martine Aubry, pour l'instant, maintient le cap qu'elle s'est donné, elle est la garante de l'unité de son parti, elle ne modifiera pas son agenda et fera connaître sa décision de se porter candidate en juin, pas avant.

Le centre aussi est perturbé, alors qu'il est dans une phase de grande agitation, avec plusieurs candidats potentiels à la présidentielle: la disqualification de DSK, qu'elle soit ou non fondée, lui redonne un espace. La gauche de la gauche, qu'incarne Jean-Luc Mélenchon, est également affectée, car elle s'apprêtait à se poser comme le contraire de ce qu'incarnait le patron du FMI, elle évitait jusqu'ici de s'en prendre à d'autres candidats.

Des dimensions culturelles

Enfin, l'affaire a aussi de fortes dimensions culturelles. Les commentaires, par exemple, soulignent la distance séparant le puritanisme américain, qui peut friser l'obsession, à la culture française, ouverte au libertinage, à la séduction. Et personne ne commente l'accusation de viol ou tentative de viol en se plaçant du point de vue de la plaignante, même si la France est un pays qui s'est considérablement américanisé de ce point de vue, et qui aujourd'hui accepte de considérer avec sérieux les crimes sexuels.

L'affaire ne fait que commencer, chacun le sent bien. Beaucoup espèrent que DSK pourra être innocenté, que les accusations vont se dégonfler. Et tout le pays est sonné, profondément ébranlé.

Sociologue, l'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris.