J'ai été préposé aux bénéficiaires pendant quatre ans durant mes études. J'ai travaillé sur tous les quarts de travail et tous les départements, de la gériatrie aux soins intensifs. Avec mes patients, j'ai travaillé dans le même état d'esprit que celui dont j'aurais voulu que bénéficient mon père et ma mère s'ils s'étaient retrouvés dans la même situation.

C'était il y a 20 ans. Ce que je sais des problèmes de santé d'aujourd'hui est encore teinté de ma vision des problèmes d'hier. Ce que je croyais être une crise des soins de santé n'était encore qu'une crisette. La vraie crise, c'est maintenant.

Les médias nous rapportent ces derniers temps des récits d'horreur quant aux traitements subis par plusieurs patients dans notre système de santé.

Il ne faudrait pas croire que tous les préposés aux bénéficiaires s'acquittent mal de leurs fonctions. Au contraire, il faudrait s'étonner qu'ils s'en acquittent bien dans cette situation de crise sans précédent.

De nos jours, les patients sont littéralement garrochés dans des centres de santé qui ne sont pas équipés pour recevoir ce que l'on appelle des «cas lourds» dans le jargon des professionnels de la santé.

On s'offre une santé au rabais en créant des partenariats public-privé (PPP) où tout l'odieux de la situation repose ensuite sur les épaules des propriétaires des résidences ainsi que des employés souvent payés au salaire minimum pour pratiquement effectuer le double de la tâche de travail d'un employé du secteur public.

Le gouvernement largue tous les problèmes du secteur public en bas de la chaîne alimentaire...

Untel devrait porter des contentions et être surveillé 24 heures sur 24. Telle autre est atteinte d'une maladie infectieuse grave qui nécessiterait son isolement. Les fonctionnaires syndiqués du secteur public les envoient sciemment vers des ressources qui ne sont pas adaptées à la situation. Ils désengorgent le système de santé public en demandant à des travailleurs payés au salaire minimum et non syndiqués de faire face à des situations à la limite du chaos, sans aide, sans ressources, sans rien d'autre qu'un torchon en main.

Il est évident que ces petits travailleurs se sentent doublement, voire triplement exploités. Ce sont majoritairement des femmes, qui plus est. Et ça n'indigne pas grand monde.

On paie presque 20$ l'heure des gardiennes d'enfants en santé. Mais on donne des pinottes aux préposés du réseau des PPP qui devront laver des adultes 20 fois plus gros qu'un bambin qui pourraient être nos parents.

Les préposés sous-payés du secteur privé bénéficient de très peu de protection en tant que travailleurs et sont à la merci d'un emploi où ils peuvent autant se «péter» le dos que l'esprit. Ils sont à bout de nerfs et de ressources trois fois plus que dans le secteur public. Chaque journée de travail qu'ils effectuent est pour moi un miracle.

Pour ajouter à l'odieux de tout cela, il arrive que ces mêmes travailleurs assument eux-mêmes, par pur humanisme, d'habiller un patient délaissé par sa famille qui gère son argent et prépare l'héritage. Il est fréquent de voir les parents d'un patient se plaindre des services qu'il reçoit alors qu'ils tiennent eux-mêmes les cordons de la bourse et refusent de payer pour quoi que ce soit. On aimerait que nos gouvernements fassent preuve d'autant de mansuétude que ces petits travailleurs pauvres qui ont la main sur le coeur et qui ne recevront jamais de médailles pour leur bonté clandestine.

Les préposés aux bénéficiaires et même les propriétaires des établissements privés ne méritent pas de se faire lancer des pierres, étant donné qu'ils travaillent dans un contexte de crise. Il faudrait plutôt remettre en question les règles auxquelles sont soumis les travailleurs de la santé et des services sociaux dans l'évaluation et l'attribution des soins aux patients.

L'argent, on fait ce que l'on veut avec. On en trouve pour graisser les amis des politiciens quand on monte des projets farfelus. C'est donc dire qu'il y en a à quelque part pour offrir des soins de santé de qualité et des conditions de travail raisonnables.

C'est une question de choix de société, rendu à ce niveau-là. Dites-moi ce que vous voulez et je vous dirai qui vous êtes...