Voilà maintenant deux mois que nous vivons au rythme d'une saga juridico-politico-médiatique qui brouille de façon inattendue les idées que nous nous faisons des rapports intimes et traditionnellement considérés comme privés entre femmes et hommes et qui, une fois étalés sur la place publique, nous forcent à en repenser les liens.

Les médias du monde entier ne se sont pas trompés en relayant à l'envi des informations plus ou moins inédites d'un évènement historique où le sexe, l'argent, le pouvoir se disputent aux règles élémentaires de moralité et de démocratie!

Il y a, à n'en pas douter, dans le traitement politique des rapports entre les sexes, un avant et un après qui a conduit à ce que le fait divers DSK devienne l'affaire DSK!

Jusqu'ici, si les affaires de moeurs ont toujours existé, la règle explicite du fonctionnement de la démocratie a été de les renvoyer au domaine privé. Ainsi, une des revendications féministes, tant dans les années 1900 que 1970 a été d'abolir cette dichotomie entre le public et le privé pour permettre aux femmes de participer pleinement à la vie politique.

Que ce soit les féministes maternalistes, qui ont fait entrer une grande partie des fonctions de maternage autrefois gratuites et privées comme un élément essentiel de la construction de l'État providence, ou les féministes de l'égalité qui ont fait aligner les droits civiques et civils des femmes sur ceux des hommes, toutes ont mis au coeur des revendications féministes, une transformation de ce qui est considéré comme personnel et privé en politique et public. C'est le sens du slogan féministe des années 70, le privé est politique!

Plus particulièrement, le respect du corps des femmes, de leur consentement à entrer ou non dans une relation sexuelle sont désormais une des bases des États de droit. C'est même grâce à cette conception féministe et humanitaire du droit que la plaignante new-yorkaise a obtenu son visa de réfugiée politique aux États-Unis. Il importe certes pour la justice américaine de savoir si elle a «utilisé» délibérément le système (par exemple en «inventant» l'histoire du viol collectif pour justifier sa demande de visa).

Car ce qui lui permet aujourd'hui d'être un sujet de droit est exactement à l'inverse de ce qui a conduit une militante socialiste de longue date à taire sa propre relation avec DSK et à faire taire sa fille pendant 10 ans!

Est-ce une différence fondamentale entre le droit américain et le droit français? Sans opposer un féminisme américain plus égalitaire à un féminisme français plus différentialiste pour expliquer «le retard» français à intégrer la violence faite aux femmes dans sa jurisprudence, je vois une différence dans les mentalités et dans l'histoire des féminismes dans les deux pays.

Toutefois, l'affaire DSK aura eu le mérite d'accélérer une prise de conscience salutaire en France. Ce droit de cuissage que se réservaient certains hommes (de pouvoir) sur des femmes (nécessairement subalternes) qui, il y a 10 ans seulement, paraissait être l'apanage sacré du pouvoir, est aujourd'hui l'objet de dénonciations publiques (presque) unanimes.

Une de ses principales répercussions politiques aura été de changer le cours de la campagne présidentielle en France, puisque DSK apparaissait comme un adversaire de taille face à Nicolas Sarkozy dans les sondages; et de bouleverser l'agenda du FMI, en le privant de son directeur général!

Ainsi, ce à quoi on assiste aujourd'hui, c'est à la disparition officielle du machisme ordinaire! Ce que cette affaire met en scène de façon spectaculaire, ce sont la plaignante new-yorkaise et deux femmes françaises (la mère et sa fille) qui ont décidé de mettre leur vie intime sur la place publique pour signifier au monde entier que la violence sexuelle ne fait plus partie du jeu entre les hommes et les femmes.